Idriss Aberkane : « La nature est bien plus brillante que l'industrie »
Votre livre se termine sur le concept de la «Blue economy», un modèle développé initialement par un industriel belge.
«Oui, par Gunter Pauli. Mais nul n'est prophète dans son pays car il a d'abord cartonné à l'étranger, surtout en Chine et au Japon. Il est issu de la tradition craddle to craddle' (mouvement des années 70 qui explique qu'un produit doit totalement être pensé de manière écologique, de sa conception à sa réutilisation, NDLR). Pour lui, on peut envisager un monde sans déchet, un monde qui serait rentable.»
C'est clairement là le problème. On pointe souvent le manque à gagner au niveau de la rentabilité lorsqu'on pense écologie.
«Si tu dis aux pollueurs d'arrêter de polluer, ils vont te dire que tu es mignon. Il faut leur faire comprendre que s'ils polluent, ils vont perdre de l'argent. Non pas en amende ni en taxe. Mais parce qu'ils jettent de l'actif à la mer. Telle ou telle transformation, c'est de l'argent. C'est le point culminant du livre: un monde sans déchet est très rentable.»
Aujourd'hui, beaucoup de start-up réfléchissent à transformer les déchets en une richesse.
«La Blue economy' est toujours vivace et elle dépasse aujourd'hui largement les travaux de Gunter Pauli. Par exemple, il existe une société suisse qui fait des semelles de chaussure à partir de chewing-gums retrouvés dans les rues. Voici un beau cas de déchet + connaissance = richesse, ce qui est la base de la Blue economy'. Si tu maries le bon déchet avec la bonne connaissance, tu crées de la richesse et de l'emploi. Un autre exemple est le marc de café, avec lequel tu peux faire plein de choses, dont, à grande échelle, l'utiliser pour le champi-compost. Il existe aujourd'hui plein de cas où l'on prend quelque chose dont personne ne veut et avec lequel on en fait autre chose dont tout le monde veut, à savoir une ressource.»
Le rêve serait d'arriver à créer, comme vous le nommez dans votre livre, un genre d'égout 2.0 dans lequel on récupère tous les déchets.
«Les excréments humains sont tellement riches en phosphate. Aujourd'hui, dans les fertilisants, on met du NPK, azote, phosphate et potassium. Le N et le P sont fournis par des eaux usées. Au Danemark, les récupérateurs d'eaux usées font du biogaz.»
Comme on disait, les projets foisonnent de toutes parts. Il existe, aujourd'hui, toute une société qui réfléchit en matière d'écologie. C'est plutôt enthousiasmant.
«Très. À Rotterdam, par exemple, on entraîne des corbeaux à ramasser des mégots de cigarette. Il y a donc des mangeoires à oiseaux qui, quand tu y déposes un mégot, font tomber des graines. C'est un exemple anecdotique mais ça montre comment ça foisonne de toutes parts. Pour ma part, je travaille sur le béton de miscanthus qui permet de fixer le carbone -20tonnes à l'hectare. Il existe des tas de solutions.»
Gunter Pauli a compris que l'éducation était importante et qu'il fallait commencer à éduquer à l'écologie dès le plus jeune âge.
«C'est grâce à son expérience personnelle qu'il a compris ça. Il s'est dit que cela faisait 30 ans qu'il faisait du lobbyisme auprès de chefs d'État qui ne sont pas prêts à changer le monde en cinq ans. S'il avait plutôt écrit des fables il y a 30 ans, les trentenaires actuels seraient ces enfants qui auraient appris ces fables durant leur enfance et qui occuperaient des postes de décision. Il aurait contribué à créer une génération pour qui le zéro déchet est une évidence.»
Lors des élections communales en Belgique, les Verts ont fait une belle progression. Une des raisons invoquées serait la grande proportionnalité de jeunes votants.
«Oui et à côté de cela, en France, Nicolas Hulot a démissionné. Le problème, c'est que l'opposition économie écologie persiste. Les gens ont peur de perdre de l'emploi si on parle d'écologie.»
En effet, j'entends souvent dire autour de moi: «avec les écologistes, encore des taxes».
«Oui parce qu'on a du mal à sortir de ça. A contrario, Gunter Pauli dit qu'on n'a pas besoin d'écotaxe. On a tendance à croire que faire une bonne chose d'un point de vue moral va forcément de pair avec une perte d'argent. Prenons l'exemple de l'abolition de l'esclavagisme: c'était non seulement la meilleure chose à faire d'un point de vue moral, mais également économique.»
Cette façon de penser est-elle liée à la révolution industrielle?
«Il y a eu l'exode rural, qui est la première opposition inconsciente entre la ville et la campagne. Le mensonge de la révolution industrielle, c'est: entre nature et emploi, il faut choisir'. Là où il y a de la nature, il n'y aurait pas d'emploi. Là où il y a de l'emploi il n'y aurait pas de nature. Le jeune du 19e siècle, quand il migre vers Charleroi, il sait que c'est là qu'il y a du travail. Pourtant, c'est là aussi qu'il y a plus de suicides. Dans les années futures, l'humanité devra reconnaître qu'en réalité, la nature est plus brillante que l'industrie.»
Aujourd'hui, on remarque qu'il y a un retour à la nature. Les trentenaires veulent un retour aux sources, entreprendre des choses qui ont du sens.
«Oui mais même eux se disent qu'ils ne vont pas gagner d'argent en faisant ça. Je vais effectivement élever des moutons dans le Larzac mais jamais je ne ferai d'argent. Le romantisme prend le dessus mais l'opposition persiste. Ce qu'il faut, c'est transcender l'opposition. Car la perte des opposés ne crée que des répétitions. Il faut impérativement dépasser l'opposition entre économie et écologie car on sait que les deux mots ont la même racine.»
Aujourd'hui, une des bonnes réponses est donc d'upcycler ce que l'on considère comme des déchets.
«Oui, c'est de l'upcycling. Le modèle de la Blue economy' repose sur l'upcycling.»
Maïté Hamouchi
«L'âge de la connaissance: Traité de l'écologie positive», d'Idriss Aberkane, éditions Robert Laffont, 364 pages, 21