La chartreuse de Neuville renaît une énième fois de ses cendres

"On est en train de réveiller une belle endormie!": la directrice de la chartreuse de Neuville, dans le Pas-de-Calais, observe des tailleurs de pierre redonner vie à cet édifice hors norme à l'histoire tumultueuse, qui fut pêle-mêle asile, centre de réfugiés ou phalanstère d'artistes.
par
Gaetan
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Depuis septembre, au milieu d'un bel écrin de verdure, des dizaines d'ouvriers -charpentiers, couvreurs, menuisiers- se sont attaqués au plus grand chantier classé monument historique de France, attaqué par la mérule.

Ce champignon ravageur avait failli sonner le glas de cet édifice, situé à une quinzaine de minutes du Touquet, "avant qu'une équipe de passionnés et de fous" ne se lancent dans un vaste projet de réhabilitation, selon le terme d'Alexia Noyon, directrice.

Avec comme horizon de transformer le plus grand monastère chartreux de France en un "Centre culturel de rencontre" dédié à l'innovation sociétale et artistique complété d'une résidence hôtelière.

Première refonte en 1872

AFP / P. HUGUEN

Une énième péripétie pour ce monastère construit en 1324, dans le plus pur esprit des Chartreux, le courant le plus ascétique du monachisme, qui imprègne encore l'architecture des lieux. Autour d'un grand cloître, vivaient ainsi les pères "auxquels on mettait à disposition un désert, l'ermitage", pour une vie "vouée à l'étude, la prière et la contemplation", explique Patrick Allindré, responsable de l'ouverture au public.

Vivant séparément, la communauté des frères "qui peut échanger, travailler et fait +tourner la machine+". Entre les deux, les parties communautaires: l'église, la bibliothèque, le réfectoire et la salle du chapitre destinée aux "réunions".

Après plusieurs siècles de vie monacale, les chartreux de Neuville subissent une première secousse de l'Histoire pendant la Révolution française et la saisie du monastère comme bien national. Il devient une vulgaire carrière de pierre.

En 1872, l'architecte Clovis Normand, auteur de 700 édifices, émule de Viollet-le-Duc, reconstruit cette chartreuse mariale dans un style néo-gothique "mélangé avec la sobriété des chartreux", note Mme Noyon.

Mais à peine trente ans après cette première renaissance, les moines fuient la politique anti-cléricale de la IIIe République et Notre-Dame des Prés de Neuville-sous-Montreuil pour une autre chartreuse en Angleterre.

AFP / P. HUGUEN

Âme du lieu

Le lieu fascine alors des artistes qui y séjournent à la fin de la Belle époque, parmi lesquels Anatole France, Paul Fort, Jean Jouve, Georges Izambard (professeur de Rimbaud) ou Jules Renard.

Mais un événement méconnu de la Grande Guerre fin 1914 va mettre fin à ce phalanstère: l'inondation de la plaine de l'Yser qui pousse des milliers de Belges à fuir. Ils sont 3.000 à se réfugier, dont des centaines mourront du typhus, dans ce qui fut le plus grand hôpital civil belge.

Puis la chartreuse devient un asile pendant près de cinquante ans. Avant d'être laissée quasiment à l'abandon, oubliée même des habitants des alentours.

Tous ces occupants successifs ont chacun pris soin de conserver intact l'intérieur d'un des 24 ermitages, avec son mobilier et son crucifix, ainsi que le petit jardin et la galerie servant pour la méditation du "Père".

Tous les autres deviendront au printemps 2020 autant de résidences hôtelières, de type trois étoiles "mais pas luxe". "N'en faire qu'un hôtel aurait fait perdre l'âme du lieu, qui sera ouvert à tous: touristes, artistes et chercheurs en résidence, mais aussi séminaires d'entreprise", détaille Mme Noyon.

Le budget de près de 30 millions d'euros dans un montage associatif/public/privé original doit permettre de remettre à neuf cinq chapelles, trois cloitres, 24 ermitages, une église, une bibliothèque, un porche et deux clochers. Car comme le proclame la devise des Chartreux "Stat crux dum volvitur orbis": le monde change, la croix demeure.