Marc Levy aux côtés des hors-la-loi: «J'ai déjà vécu quatre vies»
«Et si c'était vrai » est sorti il y a 20 ans. À l'époque, vous imaginiez avoir ce parcours d'écrivain aux millions d'exemplaires lus à travers le monde?
«Non, je n'aurais jamais pu imaginer ça! Je n'imaginais même pas publier mon premier roman, c'est vous dire si je n'imaginais pas la suite (rires). D'ailleurs, je continue de ne pas l'imaginer. Chaque année est pour moi une joie immense. Je dois tout à mes lecteurs. Je suis le premier étonné et heureux de la confiance qu'ils m'accordent depuis 20 ans.»
Après 21 romans, comment faites-vous pour parvenir à les surprendre?
«C'est le fruit de beaucoup de travail. C'est aussi une prise de risque: je n'ai jamais accepté de m'enfermer dans un genre. J'ai écrit des comédies, des thrillers, des romans historiques, des romans d'aventure Je le fait uniquement par plaisir : l'écriture est pour moi un territoire de libertés. Et explorer ce territoire est ce qui me passionne le plus. J'ai toujours ressenti le besoin de me renouveler.»
C'est aussi un trait de votre personnalité?
«Oui, ma vie en témoigne. J'ai d'abord travaillé à la Croix Rouge. Après, je suis parti aux États-Unis pour me lancer dans l'informatique, je me suis cassé la figure et j'ai tout perdu. Puis je me suis lancé dans l'architecture avant de partir sur les chemins de l'écriture. Ça n'a pas été toujours facile, mais j'ai eu cette chance de vivre déjà quatre vies.»
Aujourd'hui, il vous reste des territoires à explorer?
«En tant qu'écrivain, j'ai vraiment trouvé ma voie et là où je suis heureux. Mais bien sûr, il y a d'autres territoires que j'ai envie d'explorer. Lesquels ? Je ne sais pas encore y répondre. Ce que je sais avec certitude, c'est qu'à un moment de ma vie je retournerai à l'humanitaire. Plus les années passent, plus j'ai envie de retourner sur le terrain.»
Comment vivez-vous cette période particulière?
«De façon beaucoup plus privilégiée et beaucoup plus sereine que ceux qui sont en première ligne pour sauver des vies. Ensuite, comme tout parent, avec tous les tracas du confinement. Mais qui sont bien moindres que ceux des citoyens qui s'exposaient et risquaient leur peau parce qu'il fallait continuer à faire tourner la société. Et puis, il y a l'accoutumance à l'isolement qui est inhérente à mon métier. Aussi, j'ai été très affecté par toutes les tragédies que je voyais autour de moi.»
Dans votre dernier roman, vous vous intéressez aux hackers. Vous en donnez une image qui n'est pas forcément celle que l'on en aurait a priori
«C'est un livre qui sort des clichés. Il met en avant des Robins des Bois des temps modernes, des lanceurs d'alerte. Ils ne hackent pas pour des motivations criminelles, mais au contraire pour dénoncer et lutter contre le grand crime organisé en col blanc. Ces personnages m'ont passionné avec leurs fragilités, leurs forces, leur détermination et leurs idéaux.»
La lutte contre l'injustice
Vous avez rencontré certains de ces vrais «Robins des Bois modernes»?
«Ça a été un processus d'enquête long de trois ans. À la fois sur les crimes racontés dans le roman, qui reposent tous sur une réalité, et sur ce milieu. Mes sources ont énormément nourri ce roman. J'ai appris qui ils étaient, leurs méthodes de travail, la façon dont ils essayent de ne pas se faire attraper... Tout ça était absolument passionnant. Ce qui m'a intéressé aussi, c'est leur histoire. Ce qui les a amenés à mener ces combats, à entrer en résistance. Parce qu'il s'agit vraiment d'entrer en résistance. Il faut une dose de courage énorme pour être lanceur d'alerte et s'ériger contre la grande criminalité en col blanc. D'autant que celle-ci jouit d'une impunité hallucinante. Alors que les lanceurs d'alerte, eux, risquent entre 35 et 40 ans de prison ainsi que des amendes records. C'est hallucinant: quand vous dénoncez des crimes énormes, vous risquez plus gros que les criminels que vous dénoncez. D'ailleurs, tout le système est fait pour effrayer les lanceurs d'alerte et les empêcher d'agir.»
Qu'est-ce qui vous a poussé à en faire le thème de votre roman?
«Le fait de partager leurs valeurs. L'envie de partager cela avec les lecteurs. L'envie de participer à une cause que je trouve juste et qui me touche. Le fait, tout simplement, d'avoir envie de participer à leur bande.»
Vous qualifieriez «C'est arrivé la nuit» de roman politique et engagé?
«Les noms sont facilement reconnaissables et ce que je raconte est complètement ancré dans la réalité. Donc oui, c'est un livre engagé. Il est politique d'un point de vue sociétal, dans la mesure où il dénonce la montée des extrêmes, le populisme, la manipulation et la corruption politique. Il est engagé mais n'engage pas politiquement.»
L'ère des réseaux sociaux
Comme responsables de cette manipulation, vous pointez les réseaux sociaux
«Des gens très puissants procèdent à une manipulation de masse grâce à des techniques élaborées de microciblage, et à la complicité hyperactive des géants des réseaux sociaux. Ceux-ci en font commerce et en tirent un profit économique direct. Plus la pollution digitale est grande, plus ils s'enrichissent. Or, les conséquences de cette pollution sont extrêmement graves, le Brexit en est un premier exemple. La grande dangerosité des réseaux sociaux, c'est que l'information qui circule n'a aucune validation. Il circule donc énormément de fausses informations. N'importe qui peut publier et relayer de façon massive une information volontairement truquée. Par exemple, Trump, pour des raisons politiques, ne veut pas que la population prenne en compte les dangers de la covid et raconte qu'un vaccin sera disponible avant les élections (alors que toute la communauté scientifique dit le contraire). Il a une armée à sa botte qui relaie cette information et la publie avec une forme qui lui donne une authenticité. Et les gens finissent par y croire. Toute cette désinformation est propagée par des acteurs qui en tirent profit, économique ou politique, et sans aucune censure.»
À un mois de la présidentielle aux États-Unis, cette sortie tombe pile dans l'actualité.
«Je savais que mon roman s'inscrivait dans une actualité. En commençant mon enquête il y a trois ans, j'avais déjà anticipé que ça allait devenir de plus en plus d'actualité. La seule chose que je craigne, c'est que cette actualité précède mon tome 2 (rires). J'espère que ça n'arrivera pas avant le second tome Même que ça n'arrive pas tout court !»
L'évolution de cette société ultra-numérisée vous inspire des craintes?
«Je suis optimiste et volontariste. Ça ne sert à rien de se nourrir de craintes. Il faut se nourrir de réalités, prendre des décisions et agir. Je suis convaincu qu'on légiférera un jour, j'espère très bientôt. La société est assez intelligente pour se rendre compte, à très court terme, de cette dangerosité. Ce n'est pas la technologie qui est à remettre en cause, c'est l'usage que les gens en font. Il n'y a aucun cadre législatif qui rende responsables ceux qui abusent de ces technologies à des fins criminelles. Je pense que ça ne restera pas en l'état. Ou alors, ça voudra dire qu'Orwell avait raison et que nous allons sombrer dans un monde totalement autocratique.»
Oriane Renette
En quelques lignes
Ils sont neuf. Ils habitent Londres, Oslo, Madrid, Tel-Aviv, Kiev. Ils ne se sont jamais rencontrés et pourtant ils mènent un même combat. Résistants des temps modernes et hors-la-loi, ces neuf hackers s'attaquent à la vilenie du monde actuel, un monstre à plusieurs têtes. Poussés par leurs idéaux, ils s'embarquent dans une course effrénée pour mettre au jour les maux insidieux de notre société: manipulation des masses, montée des extrémismes, scandale de l'insuline «C'est arrivé la nuit» n'a rien d'une comédie romantique. Avec ce premier tome, Marc Levy ouvre sa trilogie «9», ancrée dans un registre où l'on ne l'attendait pas forcément. Il signe une enquête documentée qui interpellera à coup sûr ses lecteurs.
«C'est arrivé la nuit», Marc Levy, éditions Robert Laffont, 398 pages, 21,90