Adèle Exarchopoulos en hôtesse de l’air désabusée dans «Rien à foutre» (interview)
Elle n’a vraiment pas froid aux yeux! Pour son premier film belge, ‘Rien à foutre’, Adèle Exarchopoulos (‘La Vie d’Adèle’) s’est lancée dans un tournage tout-terrain à l’iPhone, entourée de véritables hôtesses de l’air lui inspirant son rôle. Une performance touchante, décrivant le désenchantement de toute une génération.
Comment avez-vous entendu parler des réalisateurs Emmanuel Marre et Julie Lecoustre?
Vous parlez de solitude et de masques. Du vécu en tant que comédienne?
«C’est un métier qui peut rendre seule, parce qu’il y a toujours un risque de dissociation entre ce que les gens attendent de toi et ce que tu deviens. Souris, habille-toi comme ça, sois sympa mais mystérieuse s’il te plaît… Et puis on peut se perdre dans les privilèges aussi. La première fois que je suis venue au festival de Cannes, j’étais choquée de voir que le Coca était gratuit (
Votre personnage résume-t-il une génération?
«Absolument. Le film confronte une envie de révolution à un abandon total des convictions qui peuvent y mener. Il décrit cette envie d’être peut-être trop indépendant, comme lorsque Cassandre refuse de mettre ses gains de vente en commun avec les autres hôtesses. C’est une nana qui abandonne le collectif. Elle fuit ça, en se plongeant notamment dans son téléphone. Manu et Julie ont vraiment réussi à décrire une réalité actuelle. La reconnaissance est numérique aujourd’hui, on ne voit plus les sourires de la même façon, on ne regarde plus vraiment les gens ou les situations qui nous entourent. Et je ne m’exclus pas du constat.»
Vous avez travaillé avec de véritables hôtesses de l’air…
«Plusieurs, oui. L’immersion a donc été parfaite, et on a passé beaucoup de temps ensemble. Elles se sont mises à m’expliquer comment je devais me maquiller ou m’habiller pour respecter les codes, combien de temps elles se réveillaient avant le départ, comment ce rythme change complètement ta vie… Ces gens font quatre vols par jour, à un moment ça devient dur de garder prise sur le sol.»
Et le tournage a été plutôt rock’n’roll, non?
«Le dispositif était super léger en fait. Sur le plateau on était cinq, ça ressemblait vraiment à un documentaire! On a tourné à l’iPhone sans autorisation dans des aéroports, je me maquillais toute seule comme une grande… Donc oui c’était rock’n’roll, mais super positif.»
Notre critique de «Rien à foutre»:
«Tout est KO, à côté»! Cassandre pense avoir choisi une vie de rêve en travaillant pour une compagnie low-cost qui l’envoie dans le ciel quatre fois par jour. Le soleil, la fête, les rencontres… Cassandre enchaîne à toute allure, et absorbe bientôt les fondements compétitifs de son secteur. Partager ses bénéfices avec les autres hôtesses? Et puis quoi encore! Soutenir les syndicats? Autant démissionner tout de suite! Mais ce n’est pas parce qu’elle a compris les règles du jeu qu’elle y trouvera son compte, et bientôt se pose la question: à force d’y perdre son âme, qui pourra l’aider? Avec son titre provocateur et son univers de voyages à la Ryanair, ‘Rien à foutre’ a l’intelligence de nous parler d’un monde que l’on connaît tous, mais qu’on ne voit jamais à l’écran: le paradis du low-cost, son attractivité, et ses travers. Avec son air blasé et ses yeux mélancoliques, Adèle Exarchopoulos impressionne en résumant les paradoxes d’une génération biberonnée au capitalisme. L’image peu soignée du film en découragera certains, mais quelle force de frappe! 4/5