Avec «Maigret», Patrice Leconte redore le blason de Gérard Depardieu (interview)

Avec le film «Maigret», Patrice Leconte confesse avoir réalisé un portrait du policier… comme Gérard Depardieu. Rencontre avec le réalisateur!

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Gérard Depardieu dans la peau du commissaire Maigret! Une évidence quand on ferme les yeux, mais il fallait y penser. C’est aujourd’hui chose faite grâce à Patrice Leconte («Ridicule», «Confidences Trop Intimes»), qui confesse avoir réalisé un portrait du policier… comme de l’acteur. Rencontre!

Comment est venue l’idée de réadapter Maigret au cinéma?

Patrice Leconte: «C’était avant tout celle d’adapter Simenon, qui est un auteur qui ne m’a jamais vraiment quitté. Avec Jérôme Tonnerre, un scénariste avec lequel je travaille souvent, on a décidé de lire quelques-uns de ses romans, juste pour rêvasser. En faisant ça, on est tombés sur ’Maigret et la jeune morte’, et on a fait le film parce qu’il nous attirait beaucoup.»

Pourquoi ce roman-là?

«On y part d’une jeune fille, retrouvée morte sans que personne ne sache qui elle était. Comme si elle n’avait jamais existé. Et l’enquête de Maigret, plutôt que de chercher à savoir comment elle a été tuée et pourquoi, va se focaliser sur la jeune fille. Il enquête donc plus sur l’identité de la victime qu’il ne cherche à mettre la main sur son meurtrier. Sur un plan émotionnel, ça m’a semblé captivant.»

En quoi l’écriture de Simenon est-elle cinématographique?

«Simenon est un faux ami des cinéastes! Quand on lit Simenon, on a l’impression qu’un film se déroule sous nos yeux. C’est pas faux, car les ambiances fréquentées, les descriptions de rues, de pavés, de brume, de lumière, et des personnages aussi sont très évocatrices. Mais si on se plonge plus loin dans le texte, on réalise que les phrases de Simenon sont plus mentales et psychologiques. Des mots ne correspondant pas forcément à des images précises. Il y a donc un travail d’adaptation important à faire, ce qui me plaît. On a coupé des personnages, on en a inventé d’autres. En tant que spectateur, je ne vais pas voir un film tiré d’un livre que j’ai lu pour voir mes propres représentations mentales à l’écran. Ce sont celles de l’auteur du film qui m’intéressent, justement. Je veux savoir comment ce cinéaste a perçu, vu et ressenti le livre.»

Où en est l’adaptation des ’Bijoux de la Castafiore’ que vous vouliez réaliser?

«C’est un projet qui, pour l’instant, est en sommeil complet. Je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver un jour. Pas à cause des ayants droit belges, pas du tout. Non, les droits appartiennent actuellement à la Paramount. J’ai essayé de correspondre avec eux, mais c’est une usine à gaz. J’aimais beaucoup ce projet, et si ça se débloque un jour je fonce, mais je ne veux pas m’entêter non plus.»

Simenon, Hergé… Les artistes belges semblent vous plaire, non?

«J’ai un rapport à la Belgique de voisin assez émerveillé! Quand on a des voisins si sympathiques, comme mon très bon ami photographe Jim Sumkay (dont l’exposition ’Motus’, tenue à l’espace Wallonie-Bruxelles, débute par un mot d’introduction de Leconte, NDLR), alors on prend du plaisir à prendre l’ascenseur ensemble, à copiner. C’est l’effet exact que me fait la Belgique. Je m’y sens toujours bien. C’est un peu flagorneur, mais c’est vrai!»

Depardieu pour le rôle, c’était une évidence?

«Oui, c’est tellement évident que je me demande pourquoi personne n’y a pensé avant! Mais je remercie tous les cinéastes qui n’y sont pas allés, vu que ça m’a permis de le faire, d’autant plus qu’on n’avait jamais tourné ensemble. Par chance, il y a un itinéraire parallèle entre le rôle et ce qu’est Depardieu. Dans le film, Maigret a perdu le goût des choses, et le retrouve par étincelles grâce à son enquête. Et d’une certaine manière, j’ai senti que pour Gérard c’était un peu la même chose. Comme si, récemment, il avait fait des films dans lesquels il se perdait un peu, et que d’incarner Maigret lui redonnait le goût pour le jeu. Je m’en suis rendu compte bien après, mais ce film, c’est un peu le portrait de Gérard Depardieu.»

‘Maigret’ sort le 23 février au cinéma

Propos recueillis par Stanislas Ide, dans le cadre de l’exposition ‘Motus’ de Jim Sumkay

Notre critique de «Maigret»:

Une jeune femme est retrouvée morte en plein Paris, mais personne ne semble savoir qui elle était. C’est à coup sûr une enquête pour le commissaire Maigret (Gérard Depardieu), même s’il semble à côté de ses pompes depuis quelque temps… L’idée de raviver Maigret au cinéma, plus de soixante ans après Jean Gabin, n’est pas des plus novatrices. Il y a quelque chose de poussiéreux dans ce personnage, sans doute dû à l’odeur de tabac froid qu’on associe au personnage, à moins que ce ne soit le souvenir de la série télévisée portée par Bruno Cremer. Patrice Leconte, le réalisateur éclectique des «Bronzés» et de «L’Homme du train» parvient pourtant à nous étonner. Comment? En profitant de l’intrigue policière pour dresser le portrait intime de Maigret, et par la même occasion celui de Depardieu, à qui le rôle va comme un gant. Certes, l’enquête est bien trop prévisible. Mais les notes d’humour, la bonhomie de Gégé, et l’énergisante photographie sépia font de ce ‘Maigret’ une des surprises les plus amusantes de ce début d’année. (si) 3/5