Le film parle de folie sous diverses formes. Faut-il être un peu fou pour faire du cinéma?
Romain Duris : «Un peu, je crois. En tant qu’acteurs, on nous demande à chaque fois de nous réinventer à travers des personnages différents, et de lâcher prise. Est-ce que c’est ça, être fou? Non, parce qu’on arrive à le faire sans être tous complètement instables, mais le terrain est là. Ensuite, une certaine folie peut traverser chaque acteur, qui doit ensuite retomber sur ses pattes. Et c’est pas toujours évident.»
Virginie, votre personnage souffre de ce qu’on nommerait aujourd’hui la bipolarité. Comment prépare-t-on en rôle pareil?
Virginie : «Je dis pas ça pour flatter Romain ou Régis (Roinsard, le réalisateur, NdlR), mais un acteur tout seul, c’est pas grand-chose. Le cinéma, c’est un art vraiment collectif. Bref, quand on a un partenaire comme Romain, qui est si libre, ça ouvre à une grande amplitude de jeu. Et quand on tourne pour Régis, on n’est pas seul. Par exemple, il n’a pas hésité à me faire tourner certaines scènes jusqu’à ce que j’atteigne une sorte de transe, un enivrement proche des courts-circuits qui font perdre pied à Camille. Je ne dis pas que je me suis approchée de sa folie, mais on peut créer un état physique aidant à ressentir certaines choses.»
Y a-t-il une leçon à tirer de ce couple sur l’éducation d’un enfant?
Virginie : «Il est confronté à des situations très complexes, trop complexes même. Mais il a aussi cette chance d’avoir une famille où tout transite d’abord par l’amour, la curiosité, et un certain rejet de la médiocrité. Ce que Georges et Camille apprennent à Gary n’est pas très normatif ou conforme, mais quel bel instrument pour vivre cette chose qu’on appelle l’existence! Ça ferait un bon écrivain, vous ne pensez pas?»
Il y a beaucoup de scènes de danse très intimes entre vous deux…
Romain : «On n’était pas forcément à l’aise au début, mais on était tous les deux conscients du travail à accomplir pour que ça ait de l’allure. Moi, j’aime danser, mais je ne suis pas danseur. Il a fallu qu’on travaille, et c’était super de se rencontrer comme ça avec Virginie. De pouvoir se toucher, de bouger ensemble, qu’on partage cette envie d’apprendre les chorégraphies.»
Romain, dans une scène, vous rejoignez Virginie dans la rue totalement nue. Un peu comme dans ’Les Poupées Russes’ il y a quinze ans, non?
Romain : «Oui, c’est vrai. Elle est magnifique cette scène, parce que Georges rejoint Camille. Et le fait d’être tous les deux à poil dehors, ça marque une sorte d’acceptation. Deux corps nus, dans la rue, ça fait de l’effet. Et dans ’Les Poupées Russes’, même si on racontait autre chose, c’était similaire car il y avait ce même effet, tout sauf gratuit.»
Virginie, cette scène commence avec vous. Ce n’était pas trop intimidant?
Virginie : «Pour le coup, elle a été extrêmement dure à jouer. Dans les autres films, quand il y a de la nudité, il s’agit généralement d’une scène d’amour. On n’est donc pas le seul à être nu, ce qui permet de partager les nerfs. Tandis que là, en allant me promener à poil avec mon petit chapeau et mes talons hauts, devant Romain et le reste de l’équipe, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes. Avant de tourner ça, tu te demandes une ou deux fois ce que tu fais comme métier (rires)! Mais ça aide d’avoir confiance, il y avait Régis pour me guider, et on avait un très bon chef opérateur. Alors on y va, et on imagine qu’on est habillé. Facile, quoi (rires)!»
Le titre évoque la chanson de Nina Simone, telle une bande originale rythmant la vie de cette famille. Quelle chanson ponctuerait la vôtre?
Romain : Une seule chanson? Ah non… J’en ai plein, ça oui, mais pas une!
Virginie : On va croire que j’ai une vie pathétique mais comme je viens de l’écouter: ’Alone Again’ de Gilbert O’Sullivan! Pourtant, ça va… Je vous jure (rires)!
Notre critique de ’En attendant Bojangles’:
Pour Gary, chaque jour est une fête grâce au cocktail d’hédonisme et d’irrévérence provoqué par ses parents. D’une part, il y a Camille (Virginie Efira), son élégance naturelle et sa haine viscérale des conventions. D’autre part il y a Georges (Romain Duris), sa douceur sans limite et sa détermination à suivre sa femme n’importe où. L’ennui, c’est que Camille porte en elle une tristesse qu’elle ne contrôle pas. Et quand elle dérape, son mari comme son fils ne savent plus trop s’ils doivent la célébrer la ou contenir… Tirée du roman d’Olivier Bourdeaut, cette comédie dramatique jouit du même charme et des mêmes défauts. On prend du plaisir à voir ce trio dire merde au monde qui les entoure dans une mise en scène des plus ludiques. Mais le récit ne peut s’empêcher d’associer la maladie de Camille à une vision décalée, voire enjouée du monde, et donc de la romantiser un peu. Malgré tout, le duo Duris-Efira envoie du lourd, et mérite le déplacement à lui seul. (si) 3/5