«Great Freedom», l’amour entre hommes dans une prison: «La criminalisation de l’homosexualité reste un angle mort dans notre Histoire»
En filmant le besoin d’amour entre détenus dans une prison allemande, le cinéaste autrichien Sebastian Meise a voulu lever le voile sur la criminalisation des homosexuels en Europe. Mais il était loin d’anticiper le succès phénoménal de sa romance carcérale, enchaînant les prix depuis son passage à Cannes.
Comment vous êtes-vous intéressé au ’Paragraphe’ 175, cette loi allemande prolongeant la criminalisation nazie de l’homosexualité jusqu’en 1969?
D’où est venue l’idée de raconter l’histoire de Hans, le héros, à travers trois passages différents en prison?
«Ce monde dystopique dans lequel les personnages existent était le moteur de l’histoire, un peu comme avec ’1984’ de George Orwell, un monde où l’on enferme quelqu’un pour l’amour qu’il vit. Je me suis dit qu’à force, la prison représentait sans doute le monde pour Hans, l’endroit où il revient sans cesse, et où il ne peut s’empêcher d’aimer à nouveau. Dès qu’il sort de prison, on le persécute parce qu’il ne parvient pas à cesser d’être lui-même. Voir ce retour constant à la prison, au placard en quelque sorte, finit par rendre compréhensibles les effets de l’isolation sur Hans, et par extension les comportements non-dociles des personnes marginalisées dans nos sociétés. Ceux-là même qui peuvent étonner, ou choquer, les personnes hétérosexuelles.»
Pourquoi avoir nommé le film ’The Great Freedom’?
«C’est le nom d’un des premiers bars gays légaux à être apparus à Berlin quand la loi a été modifiée. Je savais que je tenais le titre le jour où j’en ai entendu parler. Pour moi, ça évoque la liberté qu’ils conservent dans leur tête. Après, ces hommes trouvent-ils une vraie forme de liberté en vivant leur amour à l’intérieur d’une prison? C’est bien sûr ouvert à interprétation. Après tout, une dark room dans un club gay reprend les codes d’une prison pour les subvertir.»
Vous êtes-vous renseigné sur la façon dont prennent vie ces relations en prison?
«Oui, et la conclusion est évidente: la représentation habituelle du sexe entre hommes en prison, décrit comme un outil de pouvoir pour que l’un domine l’autre, est un cliché gigantesque. Non, ces relations derrière les barreaux sont construites sur le besoin de proximité et de tendresse. Chacun des anciens prisonniers à qui on a parlé nous l’a confirmé. Et s’ils sont hétéros, l’histoire est la même. Ce sont alors des hommes qui n’y avaient jamais pensé, mais qui n’ont pas tenu quinze ou vingt ans sans chaleur humaine, tout simplement. Ils ont découvert que ce qu’on cherche, ce n’est pas un homme ou une femme, mais un humain.»
Étonnamment, le film est rempli de scènes de tendresse…
«J’ai toujours envisagé le film comme un mélange entre un récit carcéral et une histoire d’amour. Deux personnages en réel besoin de chaleur humaine, à l’intérieur d’un lieu où la cruauté domine. Qu’y a-t-il de plus humain que de chercher l’amour pour se battre contre la cruauté?»
Vous êtes en bonne position pour aller aux Oscars, dans la catégorie du meilleur film étranger. Pas trop la pression?
«C’est fou, et ce n’est clairement pas quelque chose que j’avais anticipé. Ça me dépasse totalement, et le marathon de promotion prend beaucoup de temps, mais ça me fait aussi très plaisir. On a travaillé sur ce film pendant huit ans, et il n’y a pas de meilleure récompense que de sentir l’envie des gens de le voir.»