JoeyStarr cash au sujet de ‘Suprêmes’: «On n’est pas du tout dans la branlette avec ce film»

Le film «Suprêmes» raconte l’origine et le succès du groupe NTM. De passage à Bruxelles, JoeyStarr nous a confié comment il avait apporté son grain de sel au film.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Tous en Benz! Après avoir refusé des dizaines de propositions, le groupe NTM a choisi la réalisatrice Audrey Estrougo pour raconter l’origine de leur succès fracassant. Absent à l’écran, JoeyStarr a tout de même apporté son grain de sel au film, et profite de son passage à Bruxelles pour en parler… tout en nous abreuvant bien sûr de sa taquinerie brute et légendaire. Morceaux choisis!

Comment avez-vous participé à la construction du film?

JoeyStarr : «J’ai participé à la musique. J’avais bien vendu le DJ Cut Killer à Audrey (Estrougo, la réalisatrice, NdlR), et il a fini par faire les chansons. Et moi j’ai participé au ’scoring’. Et je pense avoir participé au scénario, parce qu’Audrey et Marcia (Romano, la coscénariste, NdlR) avaient besoin de précisions. Je me rappelle, elles venaient chez moi. Il faisait bon, donc j’étais en slip, je les reçois, leur propose de boire un coup… Et là, Marcia elle dit: ’Non, on boit pas, on bosse’ (rires)! (Laisse planer un silence) Bon, on a bossé! C’est déjà pas mal, non?»

Vous n’avez pas voulu garder un œil sur les avancements?

«J’avais envie de lui faire confiance tout de suite. Il y a pas eu de débat entre nous. Et puis j’allais pas surveiller les comédiens. Non, tu les laisses s’approprier le truc, et voilà. C’est comme quand Audrey m’appelle et me dit: ‘J’ai décidé de faire chanter les acteurs’… Moi je dis OK! Je lui ai filé les clefs du vaisseau, et à un moment donné, je sais même pas pourquoi elle m’appelle! Je lui ai dit ’vas-y’, et le résultat il est là quoi!»

Vous avez présenté le film à Bozar en parlant du danger du dépôt de bilan. On sentait presque les restes d’une réticence…

«Ouais, mais ça c’est pour faire le beau! Bon, je vais parler pour deux personnes, mais ce qu’on a fait, on l’a vécu, ça nous a remplis, et on a grandi avec. Pardon mais, quand on nous propose de faire un film, y a danger… Moi j’ai un ego vertigineux, l’autre aussi, tu vois le truc venir ( rires )! (Pointe Audrey du menton) Et puis Boss est arrivée, et elle voulait raconter mieux que moi cette histoire, la remettre dans son contexte, placer notre épopée dedans. Ne fût-ce que pour l’aspect mémoriel. Et là-dessus, on a dépassé la branlette, non?»

Comment s’est-elle distinguée?

«Elle savait ce qu’elle voulait. Ce que j’aime dans le taf qu’a fait Maman (lance un nouveau clin d’œil entendu à Audrey), c’est que ce qu’on a vécu se retrouve à l’écran. (Sur le ton de la confidence) Je suis mielleux, mais en même temps, dès qu’elle est dans la pièce, je peux pas m’empêcher de lui faire une déclaration d’amour.»

Le fait qu’il s’agisse d’une femme vous a influencé?

«Vu que je me sens irrésistible… non (rires)! C’est la seule meuf à nous avoir contactés, c’est vrai. Et tous les mecs, ils venaient avec un petit livret, leurs gros machins. Avec Audrey, on a juste discuté en fait. Elle peut être très convaincante, on parle la même langue.»

C’est troublant pour vous de voir vos souvenirs joués par d’autres à l’écran?

«Ce que j’aime dans le film, c’est que l’humeur de ces années-là a été captée. On était comme ça! Le succès nous tombait sur la gueule. Et y avait pas de scène rap à l’époque! Il y avait que le rock, le punk… Nous, on arrivait avec des sacs plastique autour de nos Air Force blanches, à cause de la boue que les rockeurs laissaient au sol, après s’être traînés partout pendant trois jours. On disait pourtant de nous qu’on était le groupe de rap le plus rock. C’était à cause de la scène en fait.»

Ça ne vous plaisait pas? Seulement parce que ce n’était pas votre came?

«Non mais faut arrêter de relever toutes les conneries qu’on a dites hein (rires)! Bien plus tard, j’ai fait un album solo, et j’ai essayé de le vendre via des canaux rock. Moi je donne tout sans penser à ce que ça représente. J’aime chier dans la douleur, tu vois! Ce qu’on est venu chercher, depuis le début, c’est pas juste du rap ou du rock. On est venus se télescoper avec la vie, avec les gens, et entre nous. Donc ouais, dis-nous qu’on est rock si tu veux!»

Notre critique de «Suprêmes» :

N… T… M! Trois lettres symbolisant bien plus que les débuts du rap français pour toute une génération. Un groupe collectif (35 membres au départ), novateur (le rap était réservé aux Américains et à MC Solaar), et porteur d’un vent d’anarchie dont les autorités publiques et les mélomanes bien-pensants ne savaient que faire. Trente ans plus tard, Audrey Estrougo parvient à capter l’ambiance et la colère qui ont poussé JoeyStarr et Kool Shen à devenir, malgré eux, les porte-drapeaux d’une France des banlieues négligée. Mais sans tomber dans le piège du film contestataire! Car si ‘Suprêmes’ suggère qu’un manque d’écoute a mené au durcissement des tensions actuelles, il n’en oublie pas sa dimension cinématographique. Les dialogues débordent d’humour, le scénario ose aller au clash entre les deux héros, et les concerts envoient du lourd (coup de cœur pour la scène improvisée sur le parking de Mantes-la-Jolie). Bon, le rythme traîne parfois en longueur, mais comme dirait Joey, c’est d’la bombe baby! 3/5