L’ivresse du pouvoir s’empare d’Isabelle Huppert dans «Les Promesses» (interview)
«Il ne m’a pas donné une nouvelle perspective à moi, mais j’espère qu’il le fera pour les spectateurs. Thomas Kruithof (le réalisateur, NdlR) a choisi un certain angle, assez loin des stéréotypes manichéens des bons riches et des méchants pauvres. Ou de l’inverse d’ailleurs puisqu’on y voit quand même certaines personnes de pouvoir bien intentionnées, comme Clémence ou Yazid, joué par Reda Kateb (vu récemment dans ’Hors Normes’, NdlR). Mais aussi des marchands de sommeil au sein même des habitants de la banlieue où se déroule l’histoire.»
«Je crois que le film ne pose aucune affirmation sur le genre de ses personnages. Et ça me plaît! Je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire, attention, je soutiens clairement les réflexions sur la place des femmes. Mais cette approche non-genrée fonctionne pour ’Les Promesses’. Oui, Clémence a plus de pouvoir que la plupart des hommes avec qui elle travaille. Et la personne appelée à la remplacer est aussi une femme. Voilà tout. Quant à l’air du temps, je constate que pas mal de femmes sont en lice pour la prochaine élection de mon pays.»
«Pas vraiment, non. D’autant plus que le film ne s’embarque jamais en terrain idéologique. On voit les mécanismes du pouvoir, et on imagine bien que ces gens ne sont pas de droite dure, mais on est clairement en pleine fiction romanesque. Ce n’est jamais souligné, ni important dans l’intrigue.»
«Oui, régulièrement. Ce n’était pas forcément utile pour le film, mais c’est certainement intéressant. Ces gens parviennent à rallier des masses de personnes, c’est intrigant de rencontrer les individus derrière le mouvement. L’image publique n’est jamais entièrement celle du privé. En tant que comédienne, je peux en témoigner.»
«Le sens du compromis est partout dans nos vies, il n’attend pas le succès. Sinon on n’est pas humains. Par exemple, si je vous parle posément mais qu’à l’intérieur je suis en pleine colère, c’est déjà un compromis. Sans compromis, on ne vit plus en société!»
«Je ne sais pas si on vit tous dans ces zones grises, mais ça fait de bons films, ça, c’est sûr! Ça touche un peu plus à notre humanité. On ne décide pas tout dans nos vies selon le principe du bien et du mal. Il y a les opportunités qui nous tombent dessus, les embûches aussi. Dans le film, ce n’est pas Clémence qui pense à devenir ministre. On vient la chercher alors qu’elle n’y avait jamais pensé. C’est un peu comme un poison qu’elle n’avait pas demandé de boire, mais auquel elle s’accroche une fois qu’il lui échappe.»
D’où naît notre ambition? Pour Clémence (Isabelle Huppert), maire d’une banlieue populaire de Paris, ce sont les résultats qui comptent. En l’occurrence, retaper toute une cité tombée en décrépitude avant la fin de son mandat, et tenir une promesse de campagne au passage: ne pas se représenter une troisième fois! Et voilà que le nouveau Président de la République lui fait du pied pour rejoindre son gouvernement. L’ego de Clémence s’emballe, bien entendu, mais quand le pouvoir devient un objectif en soi, ne serait-il pas temps de raccrocher? ‘House of Cards’, ‘Vice’, ‘Miss Sloane’, on commence à avoir l’habitude des fictions montrant le cynisme des décisions politiques de nos gouvernants. ‘Les Promesses’ fait mieux qu’allonger cette liste en faisant tourner le vent. Il y est bien question de realpolitik, mais sans le ton blasé qu’on imagine. C’est la force du casting d’Isabelle Huppert dans le rôle principal. Connue pour ses rôles de peaux de vache, on a presque du mal à croire à ses bonnes intentions. Sa potentielle chute en territoire corrompu n’en est que plus étourdissante… et amusante! (si) 3/5