L’ivresse du pouvoir s’empare d’Isabelle Huppert dans «Les Promesses» (interview)

Et si l’ambiguïté légendaire d’Isabelle Huppert nous redonnait foi en la politique? Face au piège de la polarisation immédiate des débats, ‘Les Promesses’ de Thomas Kruithof (‘La Mécanique de l’ombre’) aborde frontalement notre désillusion du politique, avec une ligne conductrice très claire: éviter tout manichéisme!

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Qui est Clémence, votre personnage de politicienne dans ’Les Promesses’?

Isabelle Huppert : «Clémence est une femme complexe et pleine d’ambiguïté. On la voit avide de pouvoir, mais on sent qu’elle peut encore surprendre à tout moment, dans un sens comme dans l’autre. On ne peut pas vraiment dire qu’elle est gentille, mais elle n’est pas méchante non plus. Elle est un peu tout ça à la fois. Elle baigne dans un monde où les jeux de pouvoir font loi, et elle va s’y blesser. Et quand on a mal, on a tendance à vouloir mordre en retour (rires). Je trouve ça pas mal qu’on accompagne son revirement, même si on ne le cautionne pas forcément. Ma réplique préférée du film est: ’J’ai toujours rêvé d’aller à Roissy et de prendre un avion, n’importe lequel’. Comme une petite fenêtre ouverte sur la vie intérieure de cette femme insaisissable.»

Ce film aide-t-il à nuancer une image manichéenne du monde politique?

«Il ne m’a pas donné une nouvelle perspective à moi, mais j’espère qu’il le fera pour les spectateurs. Thomas Kruithof (le réalisateur, NdlR) a choisi un certain angle, assez loin des stéréotypes manichéens des bons riches et des méchants pauvres. Ou de l’inverse d’ailleurs puisqu’on y voit quand même certaines personnes de pouvoir bien intentionnées, comme Clémence ou Yazid, joué par Reda Kateb (vu récemment dans ’Hors Normes’, NdlR). Mais aussi des marchands de sommeil au sein même des habitants de la banlieue où se déroule l’histoire.»

Sommes-nous dans une époque propice aux femmes en politique?

«Je crois que le film ne pose aucune affirmation sur le genre de ses personnages. Et ça me plaît! Je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire, attention, je soutiens clairement les réflexions sur la place des femmes. Mais cette approche non-genrée fonctionne pour ’Les Promesses’. Oui, Clémence a plus de pouvoir que la plupart des hommes avec qui elle travaille. Et la personne appelée à la remplacer est aussi une femme. Voilà tout. Quant à l’air du temps, je constate que pas mal de femmes sont en lice pour la prochaine élection de mon pays.»

Vous êtes-vous inspirée de véritables politiciens?

«Pas vraiment, non. D’autant plus que le film ne s’embarque jamais en terrain idéologique. On voit les mécanismes du pouvoir, et on imagine bien que ces gens ne sont pas de droite dure, mais on est clairement en pleine fiction romanesque. Ce n’est jamais souligné, ni important dans l’intrigue.»

Avez-vous rencontré beaucoup de politiciens dans votre vie?

«Oui, régulièrement. Ce n’était pas forcément utile pour le film, mais c’est certainement intéressant. Ces gens parviennent à rallier des masses de personnes, c’est intrigant de rencontrer les individus derrière le mouvement. L’image publique n’est jamais entièrement celle du privé. En tant que comédienne, je peux en témoigner.»

Le film suggère que le succès ne s’atteint qu’avec un certain sens du compromis…

«Le sens du compromis est partout dans nos vies, il n’attend pas le succès. Sinon on n’est pas humains. Par exemple, si je vous parle posément mais qu’à l’intérieur je suis en pleine colère, c’est déjà un compromis. Sans compromis, on ne vit plus en société!»

Vous semblez bâtir votre carrière sur ce type de rôles ambigus, non-manichéens. C’est voulu?

«Je ne sais pas si on vit tous dans ces zones grises, mais ça fait de bons films, ça, c’est sûr! Ça touche un peu plus à notre humanité. On ne décide pas tout dans nos vies selon le principe du bien et du mal. Il y a les opportunités qui nous tombent dessus, les embûches aussi. Dans le film, ce n’est pas Clémence qui pense à devenir ministre. On vient la chercher alors qu’elle n’y avait jamais pensé. C’est un peu comme un poison qu’elle n’avait pas demandé de boire, mais auquel elle s’accroche une fois qu’il lui échappe.»

Propos recueillis à la Mostra de Venise par Stanislas Ide

Notre critique du film

D’où naît notre ambition? Pour Clémence (Isabelle Huppert), maire d’une banlieue populaire de Paris, ce sont les résultats qui comptent. En l’occurrence, retaper toute une cité tombée en décrépitude avant la fin de son mandat, et tenir une promesse de campagne au passage: ne pas se représenter une troisième fois! Et voilà que le nouveau Président de la République lui fait du pied pour rejoindre son gouvernement. L’ego de Clémence s’emballe, bien entendu, mais quand le pouvoir devient un objectif en soi, ne serait-il pas temps de raccrocher? ‘House of Cards’, ‘Vice’, ‘Miss Sloane’, on commence à avoir l’habitude des fictions montrant le cynisme des décisions politiques de nos gouvernants. ‘Les Promesses’ fait mieux qu’allonger cette liste en faisant tourner le vent. Il y est bien question de realpolitik, mais sans le ton blasé qu’on imagine. C’est la force du casting d’Isabelle Huppert dans le rôle principal. Connue pour ses rôles de peaux de vache, on a presque du mal à croire à ses bonnes intentions. Sa potentielle chute en territoire corrompu n’en est que plus étourdissante… et amusante! (si) 3/5