Magritte du cinéma: débrief d’une édition en dents de scie
Après avoir passé leur tour l’an dernier à cause du manque de films sortis en 2020, les Magritte du cinéma étaient de retour pour une édition encore plus surréaliste que les précédentes. Onzième édition pour douze ans d’existence, aucun invité en dehors des artistes nommés mais cinq présentateurs à la barre, et un gang de drag queens aux commandes! Alors que les Césars et les Oscars, en perte de téléspectateurs en France et aux USA, se cherchent une nouvelle identité en variant leur format chaque année, les Magritte ont de toute évidence décidé de se spécialiser dans la dérision.
Et ça a commencé plutôt fort, avec un plateau télé spécialement installé dans le cube du Square de Bruxelles, un top départ lancé par une Voix se moquant sagement de ‘Secret Story’, et des drag queens se trémoussant sur une choré de Britney Spears, avant de lancer des cris de révolution pour ouvrir les festivités. Le rapport avec le septième art? On ne sait pas trop, mais la volonté de colorer une cérémonie parfois guindée fonctionne, en particulier lors des nombreuses ouvertures d’enveloppe, le suspense des victoires se mêlant habilement aux rictus caustiques de ces maîtresses de cérémonie d’un genre nouveau.
Et quitte à changer de visage, cinq valent certainement mieux qu’un! Deux ans après Kody, c’est un quintet de talents noir-jaune-rouge qui se partage la présentation, avec le gimmick commun de ‘Cette-fois, c’est moi’ pour entériner l’idée d’une visibilité multiple et partagée, et faisant place à des visages moins connus. Une idée en or, avec des résultats variables: Laurence Bibot ouvre le bal avec un sketch sympa sur sa lassitude de voir Angèle et Roméo Elvis lui voler la vedette, mais s’éteint un peu dès qu’il faut chauffer la salle. Ingrid Heiderscheidt lui emboîte le pas avec plus de mordant, mais le soufflé retombe aussitôt face aux mines boudeuses des nominés l’entourant dans le studio. Achille Ridolfi récolte la Palme du malaise, entrant sur scène en chantant ‘Shallow’ de Lady Gaga dans un clin d’œil raté aux Oscars. L’humoriste Dena Vahdani s’en tire le mieux, comprenant que les blagues les plus courtes sont les meilleures, et se moquant joyeusement du fait qu’elle a été choisie pour sa représentation d’une liste entière de minorités (bilingue, lesbienne, d’origine iranienne, et clairement pleine d’autodérision). La comédienne Bwanga Pilipili boucle quant à elle le show avec élégance, mais retombant dans le piège des blagues tirées en longueur.
Même si le ton était au renouveau, la cérémonie des Magritte n’a pas pu s’empêcher de tomber dans certains des automatismes poussiéreux des émissions de prix. En gros, c’était long! Trois heures en tout, avec un discours d’introduction démultiplié pour chacun des cinq présentateurs, une chanson sympa mais superficielle du chanteur Pierre de Maere, et des discours à rallonge du Président de cérémonie Thierry Michel. Heureux d’utiliser sa tribune pour évoquer des sujets plus sérieux, comme la place du documentaire dans le septième art, il oublie de se mettre au diapason de l’énergie ambiante, et finit par passer pour un curé sermonnant sa paroisse endormie.
Et le cinéma dans tout ça? De toute évidence, le mémo sur l’importance du renouveau est bien passé! Deux premiers films (‘Une Vie démente’ de Raphaël Balboni et Ann Sirot, et ‘Un Monde’ de Laura Wandel) se partagent ainsi quatorze prix sur vingt-deux, laissant ‘Les Intranquilles’ de Joachim Lafosse rentrer bredouille. Et sur neuf réalisateurs primés, six sont des réalisatrices, rejointes par Jane Birkin et Marion Hansel pour les Magritte d’honneur. Même Bouli Lanners et Lubna Azabal, les supers chouchous des Magritte avec six et trois Magritte au compteur, sont rentrés les mains vides! Le projecteur des Magritte a donc bien changé de cible. Gageons que le cinéma belge en sortira gagnant.