Steven Spielberg raconte son ‘West Side Story’: «Je chante comme une casserole et je danse comme un pied»

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

Steven Spielberg : «Mes parents ont acheté le disque quand j’avais 10 ans. Ils n’avaient pas vu la comédie musicale, mais ils trouvaient la musique magnifique. J’ai écouté ce disque en boucle sur une petite platine Vitrola dans ma chambre. Au moment de passer à table, je me suis mis tout d’un coup à chanter la chanson ‘Gee, Officer Krupke’ à mes parents: ‘My father is a bastard / My ma’s an S.O.B.’… Ils étaient terriblement choqués. ‘Tu ne peux pas dire ‘bastard’ à table! Où as-tu appris à dire ‘S.O.B.’?’ Sur quoi, j’ai répondu: ‘Hé, c’est vous qui avez acheté le disque. Tout est dessus. Je peux le prouver!’ Ils ne me l’ont pas confisqué, mais ils étaient quand même stressés à l’idée de tout ce que j’allais encore apprendre avec ce disque.» (rires)

Durant le tournage, vous est-il arrivé d’avoir envie de vous lever pour aller chanter?

«Pas durant le tournage. J’étais trop concentré sur les images que nous filmions. Mais durant les répétitions, j’ai chanté et dansé avec le casting. Et je chante comme une casserole et je danse comme un pied. Mais, je ne pouvais pas rester assis, il y avait tant de vie et d’énergie dans l’air. Surtout avec les chorégraphies musclées de Justin Peck. Et puis, je n’avais plus vécu une telle ambiance familiale sur un plateau depuis ‘E.T.’. Avec ‘E.T.’, je me sentais comme un père pour tous ces enfants. D’ailleurs, trois ans plus tard, je suis devenu papa pour la première fois. Ici, je me suis senti comme un membre d’une grande famille diverse.»

Singulièrement, l’espagnol n’est pas sous-titré dans le film. Pourquoi?

«Nous l’avons fait exprès. La langue était un point essentiel, déjà. Le policier, un Blanc clairement raciste, reprend immédiatement tous ceux qui parlent espagnol. Les personnages portoricains alternent constamment entre l’anglais et l’espagnol. Certains tiennent absolument à s’exprimer en anglais, puisqu’ils vivent désormais à New York. C’est une manière de s’assimiler. Par respect, nous avons donc décidé de ne jamais sous-titrer l’espagnol.»

‘West Side Story’ se passe dans les années 1950. Était-ce difficile de reconstituer le New York de l’époque?

«Le New York d’il y a 70 ans existe toujours dans certains quartiers. Vous le trouvez à Brooklyn, dans le Queens, le Bronx, uptown Harlem… Nous avons cherché des endroits où les bâtiments n’ont pas changé. Les scènes qui se passent à San Juan Hill, le ghetto portoricain, nous les avons tournées à Patterson, dans le New Jersey, l’architecture y ressemblait le plus. Pour la scène d’ouverture du film, nous avons cependant créé l’arrière-plan de la rivière Hudson à l’ordinateur. Sinon, l’ordinateur n’a été utilisé que pour enlever l’airco, les antennes paraboliques et les rails de sécurité des fenêtres. Et les taches de sueur sur les vêtements des danseurs, les jours où il faisait très chaud.» (rires)

Les paroles des chansons de ‘West Side Story’ sont du légendaire Stephen Sondheim, décédé il y a quinze jours, à l’âge de 91 ans. A-t-il encore contribué au film?

«Il était la première personne que je suis allé voir quand j’ai voulu racheter les droits de ‘West Side Story’. Nous nous étions déjà rencontrés avant, ma société de production ayant fait une version cinéma de ‘Sweeney Todd’. Et par hasard nous avions aussi reçu au même moment la Medal of Freedom présidentielle à la Maison Blanche, avec Barbra Streisand. Stephen nous a beaucoup aidés, avec son feedback sur le scénario, et son implication surtout dans les enregistrements préalables avec les chanteurs. Il était à mes côtés dans le studio pendant trois semaines. C’était un immense honneur.»

Review

Est-il exagéré de dire que Spielberg préfère par-dessus tout faire des films pour l’enfant en nous? Selon ses propres dires, l’envie de refaire ‘West Side Story’ le tenaille depuis ses 10 ans. Ce classique de la comédie musicale, une variante de ‘Roméo & Juliette’ sur deux bandes urbaines rivales dans le New York des années 1950, avait déjà donné en 1961 un film acclamé, même s’il n’était pas parfait. Pour donner juste un exemple: le rôle de Maria, la Portoricaine, était joué par une Natalie Wood -fille de parents russes- surmaquillée. Avec un casting jeune et diversifié, Spielberg n’a déjà pas ce problème. Il balade en outre sa caméra avec beaucoup plus d’élégance que ne le fit (ou put le faire) son collègue Robert Wise, il y a 60 ans. Et pourtant le nouveau ‘West Side Story’ fait singulièrement rétro, comme si Spielberg, malgré son expérience et sa science, se retrouvait piégé dans sa propre nostalgie. Il n’empêche que vous aussi fredonnerez «I like to be in America» pendant des jours. Il y a pire dans la vie.