«Vortex», un film bouleversant d’humanité sur la maladie d’Alzheimer
Gaspar Noé aime tendre un miroir au spectateur. Souvent, ce miroir est déformé et sombre (‘Irréversible’, ‘Climax’), mais l’intention est toujours d’aller au cœur même de qui nous sommes. Dans ce nouveau film ‘Vortex’, l’histoire d’un vieux couple parisien, l’approche est plus tranquille. Mais l’ambition est toujours la même.
Gaspar Noé: «Je ne fais pas des films pour faire passer un message mais pour transmettre une vision de la vie. La mort en fait partie. Je vois la vie tel un ‘vortex’, un tourbillon. Ou pour citer mon père: ‘Vieillir n’est pas une blague’. (petit rire) Il est un de ces miraculés qui, à 88 ans, sont toujours aussi vifs d’esprit et s’amusent. Il peint et il écrit comme jamais. Mais il a raison. C’est choquant de voir comment les gens peuvent régresser rapidement quand ils tombent malades.»
Vous avez connu cela avec votre mère. Comment l’avez-vous vécu?
«Ce qui est drôle avec la démence, c’est qu’à la longue, l’entourage est plus perturbé que la personne elle-même. Ma mère ne savait plus à la fin qui elle était ou avec qui elle parlait. Elle me prenait pour mon père et croyait que l’infirmière était sa grand-mère. Cela perturbait tout son entourage et nous faisait beaucoup de peine à tous. Mais elle-même n’en souffrait plus. Ce qui la terrifiait en revanche, c’était de développer une épilepsie à cause de sa maladie. Son cerveau était comme un volcan sur le point d’exploser, mais n’explosait jamais, ce qui l’empêchait de dormir.»
Avez-vous peur de la mort?
«Non. La mort n’est rien. Ce n’est que l’absence de vie. Une fois que vous êtes mort, vous êtes parti et c’est au tour des autres. Je ne crois pas en la vie après la mort ou la réincarnation. La mort est simplement une chose qui nous arrive à tous, la fin de notre existence. Mais je crois qu’on peut quand même laisser des traces qui prolongent un peu l’existence. En tant que parent, vous pouvez faire des enfants qui vous ressemblent quelque part, en tant qu’artiste vous pouvez créer une œuvre que quelqu’un peut voir ou lire. Mais la vie elle-même est une expérience éphémère qui vient de nulle part et qui ne mène nulle part.»
Dans le film, la mort n’est pas noire, mais blanche. Que voulez-vous dire ainsi?
«C’est une manière d’en parler. Comment filmer le vide? La mort n’est pas noire ou blanche, c’est le vide. Il n’y a pas de couleur. Je choisis donc une couleur pâle un peu sale. La mort en tant que telle n’est pas glorieuse. C’est plutôt un vide puant.»
Qu’apporte le splitscreen à l’histoire, selon vous?
«Je trouve que je suis plus proche de la réalité de cette manière. Traditionnellement, vous braquez la caméra sur la personne qui est en train de parler. Mais vous ne montrez ainsi qu’une petite partie de la situation. Les dialogues ne sont qu’un aspect minime de la réalité. Ils sont comme la sueur sur le corps. Je trouve plus normal de montrer la situation de la perspective de deux personnes en même temps. Dans une maison où vivent un papy et une mamie de 80 ans, ces deux points de vue se croisent constamment.»
Vos acteurs principaux viennent d’horizons très différents. Françoise Lebrun a une carrière gigantesque derrière elle, Dario Argento est connu surtout comme réalisateur de films d’horreur et n’a jamais joué la comédie. Pourquoi ce choix?
«Je n’y ai jamais réfléchi, en fait. Je me suis simplement demandé avec quelles personnes de cet âge je voulais travailler. Étant cinéphile, j’ai pensé à Françoise et Dario. Mes goûts cinématographiques sont très divers. Pour le reste, je n’avais que 10pages de scénario, sans dialogues. Je voulais que les acteurs les complètent eux-mêmes. Françoise ne le comprenait pas au départ, du fait aussi que je lui demandais de bredouiller et de communiquer ses intentions par ses yeux et son langage corporel surtout. Finalement, ça a marché, grâce aussi à l’ambiance positive sur le plateau. Si vous voulez faire un bon film, vous devez aussi veiller en premier à ce que le tournage soit agréable pour tous.»
Review
Au fond, bien profond et bien caché derrière une vision du monde sans états d’âme (et souvent noire), le réalisateur français Gaspar Noé est un romantique. Même l’ultra-violent ‘Irréversible’, tournait finalement autour d’un amour intense. Dans ‘Vortex’, son nouveau film, cet amour est devenu routinier au fil des années mais il est toujours là. Des personnages, un couple âgé, joué par Françoise Lebrun et Dario Argentodont, nous ne connaîtrons jamais les noms. Leur appartement parisien montre des traces d’une vie intellectuelle riche et passionnante. Mais leur existence indolente et relativement insouciante prend fin quand la femme est frappée d’Alzheimer. ‘Vortex’ fait inévitablement penser à ‘Amour’ de Michael Haneke, avec la grande différence que Noé n’hésite pas à montrer aussi les petits travers de ses personnages. Lebrun et Argento sont bouleversants d’humanité, et le concept de les filmer en splitscreen pour la majeure partie de l’histoire, fonctionne parfaitement. Une perle tranquille. 4/5