«Augure», le candidat belge aux Oscars : «La croyance structure encore nos sociétés et nos vies»

Après avoir marqué le monde de la musique et de la mode, Baloji entre dans l’industrie du cinéma par la grande porte avec son premier long-métrage ‘Augure’. Centré sur quatre destins réunis par la force et le poids de la croyance, le film a gagné le prix ‘New Voice’ au Festival de Cannes, et vient d’être choisi pour représenter la Belgique dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 4 min.

Après avoir réalisé quelques clips musicaux et le court-métrage 'Zombies', voyez-vous ‘Augure’ comme un départ ou une continuité ?

Baloji : «C'est un départ car il ne s’agit pas du même métier. C’est comme si on comparait un relais avec un marathon. Mais mes clips et mon court-métrage 'Zombies' m'ont permis d'avoir le courage d'affirmer des grammaires visuelles. Des façons d'appréhender la narration pour les développer dans un mode plus long au service d'une histoire. ‘Augure’ reste un premier film. Il y a des boursoufflures. Mais ce sont des choix que je suis fier d'avoir fait.»

Le film commence avec Koffie, joué par Marc Zinga, s’effondrant dans son appartement belge alors qu'il s'apprête à rentrer en RDC pour la première fois depuis des années…

«J'ai moi-même souffert d’épilepsie. J'ai aussi été dyslexique pendant très longtemps. Et toutes ces maladies que l'on développe à l'enfance peuvent être perçues en RDC comme une dépossession de soi. Je ne dirais pas que la sorcellerie est le sujet principal du film mais la notion de croyance est au centre. Sans jugement cela dit, c'est pas 'Tintin au Congo'. Le film est sur la ligne de crête entre le sacré et le profane. Car la croyance et la place du religieux structurent nos sociétés. Cet été, j'ai vu un million et demi de jeune catholiques se réunir au Portugal. Moi, je pensais que plus personne n'allait à l'église, et puis on voit ça. Il faut accepter que pour certaines personnes, c'est important de se raccrocher à des croyances. Pour d'autres pas.»

Comment est venue l’idée de croiser quatre points de vue dans le récit ?

«Pour éviter le didactisme et les injonctions. D'un côté, il y a Koffie, qui vit mal d'être considéré comme sorcier. Paco, lui, embrasse cette assignation et dit que si on le traite comme un chien, il mordra comme un chien. Tchalla, la soeur de Koffie, refuse la réduction au statut de mère. Et en miroir, sa mère Mujila se plie aux traditions par automatisme. Pour moi, c'est elle le personnage principal. Elle a la ligne de parcours la plus intéressante.»

La mise en scène est très poétique. On sent que vous ne voulez pas nous imposer de lecture narrative…

«C'est quelque chose que j'ai appris dans la musique. Comme dit le chanteur Joseph d'Anvers : 'On entre dans une chanson pour la musique, et on y reste pour les paroles'. J'aime l'idée de pouvoir créer une œuvre ayant des lectures multiples. Chacun suit une grille de lecture différente et j'aime bien cette possibilité.»

Comment vivez-vous votreentrée dans l'industrie du cinéma, vous qui naviguez déjà dans celles de la musique et de la mode ?

«C'est un avantage d'avoir vu autre chose. Dans la musique, j’ai vu la culture de l'esbroufe, du paraître et du clinquant. Je peux vous citer deux cent cinquante groupes qui ont été portés aux nues mais qui, deux ans plus tard, se sont retrouvés dans l'anonymat le plus complet. L'industrie du cinéma n'est qu'une version magnifiée de ce que celle de la musique peut produire à ce niveau-là. On aime des choses, puis on les déteste, et on les aime à nouveau... Il faut être imperméable et relativiser. Sinon, on se perd.»

C'est avec cet état d'esprit que vous entrez dans la campagne pour l'Oscar du meilleur film étranger ?

«On va aller à Los Angeles pour présenter le film. Mais pour être honnête, ça s'apparente à des campagnes électorales de base. Faut inviter les gens, les convaincre, tout ça. Les films qui l'emportent au final dépensent des montants astronomiques ! Et je ne sais pas si mon film s'inscrit dans cette logique. Mais on n'a rien à perdre ! Et ça nous permet de poser des jalons pour la suite et d'exister sur d'autres territoires.»

Augure

Baloji, l’ancien membre de Starflam, avait déjà impressionné les foules dans les domaines de la musique et de la mode, et son passage au cinéma confirme sa créativité comme sa singularité. D’abord avec une histoire loin des sentiers battus, celle de quatre personnages considérés comme des ‘sorciers’ par leurs communautés. D’où le titre ‘Augure’, puisque le film parle de chemins tracés pour nous, et de celui qu’on trace pour soi. Ensuite parce que la mise en images de ces croisements de fortune est d’une beauté ahurissante. Baloji avait déjà démontré son talent en réalisant de superbes clips comme celui de ‘Peau de chagrin/Bleu de nuit’ (à voir en ligne, ça vaut le détour). Pour ‘Augure’, il pousse le curseur de sa mise en scène poétique vers de nouveaux sommets, nous plongeant au carrefour de la tradition et de la modernité en RDC. Le scénario, très ambitieux, se perd parfois dans des détours testant notre attention. Mais le spectacle visuel vous vissera à votre siège, et la Belgique regarde clairement de l’avant en choisissant ce titre pour la représenter à Hollywood.

3/5

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