Dans L’été dernier, Léa Drucker explore la monstruosité
Dans ‘L’été dernier’ de Catherine Breillat ('Une vraie jeune fille'), Léa Drucker ('Close’, Jusqu’à la garde') joue une femme adulte entamant une relation secrète et incestueuse avec son beau-fils mineur. Un personnage qui franchit des limites dangereuses avant de s’en défendre, quitte à pousser le curseur de la monstruosité.
Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle et cette exploration du danger?
Léa Drucker: «Avant de la rencontrer, Catherine (Breillat, la réalisatrice, NDLR) me faisait penser à une rock star punk du cinéma. C’est un peu excitant d’aller rencontrer des gens comme ça, il n’y en a pas beaucoup. On sait qu’il y aura des zones troubles. Je ne savais pas si je voudrais travailler avec elle, ni l’inverse. J’avais lu le scénario et je n’avais pas voulu voir le film danois ’Queen of Hearts’, dont le nôtre est un remake. Je ne savais pas du tout comment j’allais vivre ce tournage. C’était une expérience très nouvelle pour moi.»
Comment s’est passée votre rencontre avec Samuel Kircher, qui joue votre beau-fils dans le film?
«Il se trouve que ses parents sont comédiens, ce qui m’a rassurée. Ils sont cinéphiles et avaient lu le scénario. Ils avaient donc forcément dû bien en parler avec lui. Puis j’ai rencontré Samuel qui est un garçon poétique, sympa et très intelligent! Je me suis assurée que les scènes difficiles allaient être tournées de la façon la plus cadrée et technique possible, pour qu’on ne soit pas dans l’improvisation et qu’on soit vraiment en sécurité. Et à l’intérieur de ce cadre, on a mis de l’émotion.»
Ce souci du cadre préparé est primordial?
«C’est une nécessité pour tous les comédiens, oui. Il faut que ces scènes d’intimité soient orchestrées dans une chorégraphie, c’est indispensable. En plus, Catherine m’avait dit qu’elle voulait filmer nos visages et que la chair ne l’intéressait pas. Assez naïvement, je me suis dit que ce serait fastoche. Et en fait je me suis plantée. C’est très intime un visage. Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais été filmée d’aussi près. Ça demandait énormément d’abandon. Il fallait être en confiance.»
Vous affirmez que cette femme cherche à se réparer dans cette liaison. Comment?
«Une réparation qui détruit l’autre. Et en cela, le film est très troublant et pose plein de questions. Ayant eu un passé sans doute très traumatique, cette femme trouve la possibilité de rejouer un mauvais départ. Le destin lui donne la possibilité de rejouer les choses comme si elle avait quinze ans et comme si elles allaient bien se passer. C’est poignant et en même temps c’est terrifiant. Je ne sais pas si elle se rend compte de sa force de destruction à elle. Alors qu’elle est avocate dans l’aide à la jeunesse en plus! Elle finit par utiliser ses armes. Elle sait se défendre. Elle utilise son pouvoir d’adulte aussi. C’est monstrueux et assez glaçant.»
Vous avez joué dans ’Close’ de Lukas Dhont. Quelle place ce film a-t-il dans votre carrière?
«Ma relation avec Eden Dambrine, dont je jouais la mère dans le film, s’est tissée en passant beaucoup de temps ensemble avant de tourner. J’ai rencontré sa mère. On s’est baladés dans un parc à Gand. En fait, je n’ai pas trop compris quand le travail a commencé. On était chez Lukas et il m’a demandé si je voulais l’aider à préparer un dîner mexicain. J’ai commencé à couper des trucs, lui faisait des margaritas. On commence à rigoler, et là le costumier passe et me demande d’essayer un t-shirt (rires)! C’était génial, je suis rentrée dans le film comme ça. Quand je suis arrivée sur le plateau, le lien avec Eden et Lukas était déjà là. On était dans un délire affectif. En sortant du tournage, on n’imaginait pas la carrière que le film aurait. Je me disais qu’il aurait de l’attention après ’Girl’ mais les Oscars… Le tour du monde avec un si beau film sur un sujet qu’on n’a pas tellement vu au cinéma… Vraiment, j’étais émerveillée tout le temps.»
‘L’été dernier’ sort aujourd’hui en salles.
Notre critique de «L’été dernier»:
La vie d’Anne (Léa Drucker), brillante avocate vivant avec son mari et leurs deux petites filles, bascule le jour où son beau-fils de 17 ans Théo (Samuel Kircher) emménage dans leur grande maison. Leur ennui des mondanités les rapproche. Bientôt Théo lui fait des avances. Anne finit par les accepter. Beaucoup d’encre a coulé sur le nouveau film de Catherine Breillat, une cinéaste traitant souvent des zones grises dans les rapports amoureux et sexuels, et de la violence qui peut les accompagner. Pour tout son courage d’aborder des sujets inconfortables mais importants, on lui reproche parfois une esthétisation de la violence. Comme l’autrice Catherine Angot, qui se demandait il y a peu pourquoi Breillat présentait son film en parlant d’amour et d’insouciance, au lieu de perversion et d’abus. Reste un film très fort, qui nous a semblé très clair quant à la responsabilité d’Anne et à la destruction qu’elle opère sur Théo. Et où le cadre bourgeois est pointé du doigt comme gardien institutionnalisé d’un désordre déviant. 4/5