«Draw for Change !»: lorsque des femmes risquent leur vie en dessinant

Le 25 novembre, des actions de sensibilisation seront menées à travers le monde face à un problème, hélas, toujours aussi urgent: la violence à l’égard des femmes. À l’occasion de cette journée internationale, vous pourrez voir dès aujourd’hui, dans plusieurs salles, ‘Draw for Change!’, une série primée de six documentaires belges sur des artistes féminines qui dénoncent, à travers leurs cartoons et dessins, la situation dans leur pays (la Syrie, l’Inde et la Russie, e.a.). Souvent au risque de leur vie. Au Film Fest Gent, nous avons rencontré l’une d’elles, la Mexicaine Mar Maremoto, au cœur du film ‘We Are Fire’.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 5 min.

Vous faites bien plus que des cartoons. Comment décririez-vous votre travail?

Mar Maremoto : «En espagnol, nous appelons ça ‘dibujante’, ce qui signifie plus ou moins ‘quelqu’un qui fait des dessins’. Je ne travaille pas seulement avec une plume et du papier. Je me vois plutôt comme une narratrice qui utilise toutes sortes de médias différents.»

Qu’avez-vous pensé quand on vous a invitée à participer à ‘Draw for Change!’?

«J’étais un peu surprise, car contrairement aux autres, je ne fais pas vraiment de cartoons, ou du moins pas l’idée que l’on s’en fait. Mais Karen [Vazquez Guadarrama, la réalisatrice, rn] m’a expliqué que la série voulait montrer un spectre le plus large possible, et aussi élargir l’idée du dessin humoristique.»

Vous souvenez-vous de l’origine de votre passion pour le dessin?

«J’ai toujours dessiné. Mon école était loin de la maison, et ma mère avait toujours du papier et des crayons pour m’occuper, dans la voiture ou lorsque nous allions manger quelque part. Nous n’avions pas de smartphones ou tablettes. Ce papier est devenu à la longue une sorte d’ami avec lequel je pouvais m’amuser ou auquel je pouvais confier mes sentiments, mon imaginaire. Et je fais toujours ça, en fait. Je ne dessine pas nécessairement ce que je vois, mais plutôt ce que je pense et ressens. Cela m’aide à me comprendre moi-même et à comprendre le monde.»

Vous avez un style très personnel. Comment l’avez-vous développé?

«Cela s’est passé de manière très intuitive. Je suis déjà très fan de l’art populaire mexicain. Il m’inspire beaucoup. La façon dont les corps y sont déformés pour exprimer autre chose. Un torse qui est plus gros ou une main qui est plus grande que la normale. Et puis, j’aime aussi tout simplement les choses douces et pelucheuses, les formes rondes et les matières brillantes. Et j’essaie de traduire ça dans mes dessins. Je suis d’ailleurs créatrice textile de formation.»

À 22 ans, vous avez eu votre première vraie commande, un cartoon hebdomadaire pour le site web ‘Malvestida’. C’était quoi ce site, au juste?

«Aujourd’hui, ‘Malvestida’ est assez connu, mais à l’époque c’était encore un petit site rebelle. J’étudiais encore et je pensais que ce serait un hobby, que je pourrais simplement parler un peu de ma propre vie. Tout était autorisé. Un jour, je parlais du sentiment intime d’être soi-même très petit par rapport au monde tellement immense, le lendemain je parlais des droits à l’avortement au Mexique ou de l’énième cas de jeune femme disparue.»

Vous avez donc vite compris que le dessin vous permettait d’aborder des problèmes et de faire entendre une voix contestataire.

«Exactement. Je me suis vite mise à partager mes illustrations sur Instagram aussi. J’avais le sentiment que c’était la seule manière de faire entendre ma voix, mes frustrations, ma colère et mon chagrin.»

Dans le documentaire, vous dites «Notre bonheur et notre joie sont aussi révolutionnaires». Que voulez-vous dire?

«C’est lié au fait que je suis queer. Lorsque j’en ai parlé à mes parents, ma mère m’a dit qu’elle voulait surtout que je sois heureuse et en sécurité. Les histoires qu’on entend sur les personnes queer parlent souvent de chagrin et de drame et de noirceur. C’est pourquoi il est punk d’être simplement heureuse et de le montrer. Cela vaut d’ailleurs pour les femmes en général. Nous avons trop souvent tendance à nous cacher et à ne surtout pas nous faire remarquer, alors qu’il est si beau et important de pouvoir montrer qu’on est heureuse. Même si nous sommes confrontées à tant d’injustice et de violence.»

«Et en plus, on nous tient responsable de la violence qui nous est faite», dites-vous dans le film.

«C’est vrai. Beaucoup de victimes de violences sexuelles ou d’harcèlement sexuel doivent constater qu’on les blâme par la suite. Si vous vous promenez dans la rue et que quelqu’un vous siffle ou commence à vous suivre ou essaie de vous toucher, et vous allez à la police pour le signaler ou le dénoncer, il arrive trop souvent que cet agent vous demande si vous ne l’avez pas provoqué quelque part. N’avez-vous pas regardé l’auteur de manière trop insistante? Ne portiez-vous pas une jupe courte? N’aviez-vous pas un peu trop bu? N’était-il pas un peu tard pour se promener dans la rue? Le fait est qu’en tant que femme, vous êtes encore victime d’injustice une deuxième fois. Même dans des cas de féminicide, on le voit encore et encore. Alors que nous devons pouvoir mener une vie pleine et heureuse, comme tout le monde.»

Les 6 documentaires de la série ‘Draw for Change!’ sont à découvrir dès aujourd’hui, lors de séances uniques dans différentes salles à travers le pays. Infos disponibles sur Instagram: drawforchangetheseries.

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