Ken Loach sort «The Old Oak», son adieu au cinéma: «Si je refais un film, j’aurai 90 ans à sa sortie»

Pour son dernier film, Ken Loach (‘I, Daniel Blake’, ‘My Name is Joe’) pose sa caméra dans un village d’anciens mineurs du nord de l’Angleterre, isolé par la misère et réagissant plutôt violemment à l’arrivée d’une famille de réfugiés syriens. Avec un parfum de conclusion de carrière, Loach s’est confié à Metro sur l’évidence de l’activisme dans son cinéma.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 4 min.

Peut-on dire que ‘The Old Oak’ est l’histoire de deux communautés traumatisées qui se rencontrent?

Ken Loach (petite photo): «Totalement! L’une fuyant la guerre en Syrie et l’autre rendue amère par l’abandon et la négligence. Avec Paul (Laverty, son fidèle scénariste, ndlr), ça fait des années qu’on voulait écrire une histoire sur le changement de la nature du travail, et du passage d’une culture de la protection à celle de la désintégration. On a voulu voir comment la vie dans les anciens villages de mineurs en Angleterre avait changé avec le thatcherisme. Le socle culturel et social de ces communautés a été détruit. Aujourd’hui, tout le travail qui reste est précaire. Beaucoup de jeunes ont fui les villages. Le discours politique dominant est de tout ramener au marché. Alors qu’on sait que ce marché ne tient pas la distance et se permet d’abandonner des personnes en cours de route.»

Le film parle du besoin de se rencontrer. Pourquoi avoir choisi un pub comme lieu de rassemblement?

«C’était l’idée de Paul. L’idée du film est que le pub symbolise la culture et la tradition du village. Et donc aussi une sorte de dernier bastion à préserver dans une région précaire. Ce qui permet de comprendre d’où vient le rejet buté des villageois à l’arrivée d’une famille de réfugiés. La confrontation de leurs histoires nous permet de montrer comment des personnes qui se sentent isolées, abandonnées, peuvent graduellement céder au racisme. C’est sinueux mais c’est justement le sol sur lequel pousse l’extrême droite.»

Le film se range pourtant du côté de l’espoir alors qu’on vous a connu plus pessimiste par le passé…

«C’était un choix naturel. Je pense que c’est une erreur de jugement politique de déclarer qu’il n’y a plus d’espoir. Bien sûr, c’est très difficile d’identifier le chemin à suivre. Et pour espérer, on ne peut se contenter de croiser les doigts et d’attendre que la pluie se mette à tomber. L’espoir doit prendre racine dans une possibilité, pas dans l’attente. Il me semble que le premier pas pour y arriver, c’est d’être un bon voisin. Et l’histoire des grèves de mineurs montre que cette communauté s’est fondée sur le principe de solidarité. En ravivant ce souvenir, on peut se mettre à espérer qu’ils s’ouvrent aux réfugiés. Il est là, le début de l’espoir, de l’union, et peut-être un jour d’un programme politique.»

Votre cinéma est résolument social depuis vos débuts dans les années soixante. Ça ne vous a jamais éprouvé?

«Si, mais une fois qu’on commence, la dureté du sujet n’est plus un frein à l’activisme politique. Sinon on devient un observateur condamné. On poursuit sa vie sans se souvenir qu’on fait partie d’une bulle bien plus grande que la nôtre. Moi, je ne me vois pas comme un réalisateur assis dans son appartement bourgeois, focalisé sur la misère du monde défilant sur BBC News. Sombrer dans l’information sans sortir la tête de l’eau, c’est le jeu de la droite. Ça nous déprime. Alors qu’en travaillant avec son syndicat, en rejoignant des manifestations, en organisant des réunions, on se nourrit. Et on rigole autant qu’on s’insurge d’ailleurs! C’est ça qui donne la volonté de rendre les coups. C’est là que les idées restent fraîches, et parviennent à broyer le pessimisme des classes moyennes.»

Votre conviction sur la marche à suivre est tellement forte. Est-ce vraiment votre dernier film?

«Sur un tournage, je dois courir un peu partout. Ça devient trop physique pour moi. Je me revois dans la rue, avec une heure pour boucler la scène finale du film, en train d’aller à droite et à gauche pour parler à tout le monde. Il y aussi un engagement émotionnel à tenir. Je n’ai plus l’énergie pour le faire. Si je refais un film, j’aurai 90 ans à sa sortie quand même!»

‘The Old Oak’ sort en salles aujourd’hui.

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