Le film «Love Life» aborde l’amour, et le deuil: «L’amour, c’est à la fois beau et cruel»
L’amour est-il compatible avec le deuil? Avec «Love Life», le cinéaste japonais Kôji Fukada («Au revoir l’été») se demande ce qui peut bien rester dans un couple après le pire des drames. Un film étonnamment solaire, trouvant la douceur après la douleur.
«Love Life» voit une femme renouer contact avec son ex-compagnon après le décès de leur enfant, au grand dam de son nouvel époux…
Kôji Fukada (petite photo): «Quand le film démarre, Taeko est en conflit ouvert avec son ex, qui non seulement l’a abandonnée mais ne s’est surtout jamais intéressé à l’éducation de leur fils. C’est un point de départ intéressant car ils sont à la fois très éloignés et très proches. Elle vit dans un nouveau cadre familial mais le drame qui l’attend lui montrera que certaines choses sont plus faciles à partager avec cet homme à qui elle n’a pas parlé depuis des années.»
Le nouveau mari revoit aussi son ex. En quoi ces deux «anciens» couples se répondent-ils?
«Je n’ai pas pris assez de recul pendant l’écriture du scénario pour mesurer le poids de ce parallèle entre les anciens compagnons. Il ne s’agit pas d’un effet de symétrie que je cherchais à produire et j’aurais du mal à vous expliquer comment il a fini par surgir. Cela dit, c’est sûr qu’en écrivant, je cherche des situations a priori stimulantes pour l’imagination des spectateurs. Tout en prenant beaucoup de plaisir à les surprendre. Ce n’est pas parce qu’on rassemble d’anciens amants qu’il doit nécessairement s’agir d’une trahison par exemple. C’est donc l’un de mes défis lorsque je réalise un film: parvenir à activer l’imaginaire des spectateurs en leur servant un postulat singulier. Ce n’est pas simple d’y arriver mais je pense qu’on peut guider l’imagination. Pensez-y, le cinéma a été utilisé à des fins de propagande totalitaire dans de nombreux conflits. Il ne faut pas l’oublier. C’est comme la publicité d’ailleurs. Les images mouvantes ont un impact sur les gens. Mais mon but, c’est de faire l’opposé d’une propagande. Quand je fabrique un film, mon souhait le plus cher est que l’imagination de chaque spectateur soit stimulée de façon différente.»
Le film utilise de nombreux langages différents, comme le coréen, le japonais ou le langage des signes. Pourquoi?
«Il était important que le personnage de l’ex-mari soit sourd, pour qu’il ne comprenne pas ce que le nouveau mari de Taeko raconte sur lui. J’ai donc choisi un acteur malentendant, Atom Sunada, pour son talent bien sûr mais aussi pour gagner du temps. Pas besoin d’expliquer à Atom comment ce handicap l’isole du monde qui l’entoure, tout en créant un canal privilégié de communication avec son ex-femme à travers le langage des signes coréen. En tant que réalisateur, j’ai veillé à ce qu’Atom se sente écouté sur le tournage. Qu’on communique beaucoup entre les prises pour échanger nos idées.»
Le titre «Love Life» a-t-il un double sens?
«On peut l’entendre comme la vie amoureuse, mais aussi comme une invitation à aimer la vie. Je pense que, tout comme la vie, l’amour est à la fois beau et cruel. Pas dans le sens d’aimer son prochain mais celui de choisir une seule personne, et donc d’éliminer les autres. Mais à la base, je me suis inspiré de la chanson ‘Love Life’ de la chanteuse Akiko Yano, sortie en 1993. Il n’y a donc pas de titre japonais pour le film, seulement l’international.»
Vos films sont souvent sélectionnés dans les festivals internationaux. Ça compte dans leur réception au Japon?
«Vous savez, ces festivals sont comme des marchés au poisson! Il y a beaucoup de poisson frais, pas mal de poisson pourri aussi (rires). De nombreux acheteurs venant du monde entier s’y rendent pour y trouver le plus frais, puis le ramener à domicile et le vendre là-bas. L’impact d’un festival sur la vie du film dépasse donc la question du retour au Japon. Mais bien sûr, faire partie d’une compétition dans un festival comme celui de Venise (où ‘Love Life’ concourait en sélection officielle en septembre dernier, ndlr) donne une image de qualité au film. Une sorte de publicité de prestige qui ne peut certainement pas faire de mal.»
Review
Taeko et Jiro s’aiment et vivent ensemble dans l’appartement des parents de Jiro, qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de cette nouvelle belle-fille, et de son fils de 8 ans qu’elle a eu avec un autre homme. Mais la vie du couple est fracassée le jour où le garçon décède en se cognant la tête par accident. Par la force des choses, le drame pousse les deux conjoints à renouer avec leurs anciens amours. Un éloignement salutaire pour leurs âmes en peine, mais Taeko et Jiro parviendront-ils à se retrouver? Malgré l’horreur de la situation décrite par le film, une douceur étrangement solaire s’y diffuse parfois pour mieux réchauffer nos joues vibrantes. Loin de tout artifice mélodramatique, le réalisateur Koji Fukada s’appuie sur ses comédiens hors pair pour habiter le récit. Et magnifie certaines de leurs interactions grâce à des mouvements de caméra bien maîtrisés, allant jusqu’à nous provoquer un climax lacrymal devant une simple accolade. Malgré quelques longueurs, «Love Life» porte joliment son titre à double sens.
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