«Le Paradis» : Quand deux garçons tombent amoureux dans une prison pour jeunes
La vie dans une prison pour jeunes (pardon, une ‘institution publique de protection de la jeunesse’) n’est pas drôle, car les règles y sont terriblement strictes. Dans le premier long-métrage ‘Le Paradis’ du réalisateur belge Zeno Graton, deux garçons tombent amoureux dans ce type de centre. Et les émotions sont fortes…
La première chose qui frappe: vous ne dites pas vraiment pourquoi ces jeunes se retrouvent dans un centre de détention. Est-ce peu important pour vous?
Zeno Graton : «Je voulais surtout éviter que l’on porte un jugement sur ces jeunes dès le départ. Cela arrive bien trop facilement dans la vraie vie. Ainsi fonctionne l’opinion publique: si vous faites quelque chose de mal, vous êtes pour toujours un criminel. Aucune école normale ne vous accueillera, par exemple. Je veux que le public découvre ces jeunes à travers d’autres facettes de leur personnalité et non pas leur passé.»
Comment avez-vous fait leur connaissance?
«J’ai connu le monde des IPPJ par un cousin, qui y a séjourné une ou deux fois. Pour me préparer, j’ai pu faire deux immersions d’un mois dans une de ces IPPJ en Wallonie. J’y ai discuté avec ces jeunes et participé à des activités. J’y ai un peu tout vécu: le plaisir, la révolte, la tristesse, la joie aussi quand quelqu’un pouvait quitter l’institution. Ces expériences ont beaucoup apporté au scénario. J’en ai gardé aussi une grande admiration pour les éducateurs.»
Pourquoi exactement?
«Parce qu’ils se donnent à 100% pour ces jeunes. Il se crée presque une relation parentale, du fait aussi que les vrais parents viennent de moins en moins en visite. C’est douloureux aussi de voir comment ces éducateurs sont, au fond, contrecarrés par le système. Ils sont souvent impuissants. Cette impuissance, je voulais absolument la montrer aussi dans le film. ‘À quoi servez-vous, au fait?’ leur crache au visage un des jeunes, après un énième contretemps. Je veux poser cette question aux hommes politiques et institutions qui tirent les ficelles. À quoi servent-ils? Les chiffres sont terribles.»
Faut-il voir ‘Le Paradis’ comme un film politique?
«Je voulais d’abord raconter une histoire d’amour poignante, et j’espère avoir réussi. D’autre part, j’ai quand même étudié le cinéma à l’INSAS à Bruxelles, et cette école met très fortement l’accent sur les questions sociales. Ce n’est pas un hasard non plus si l’INSAS a été créé au début des années 1960 au départ du département de Sociologie de l’ULB. J’y ai appris à m’inspirer aussi du monde dans lequel nous vivons pour mes scénarios.»
Comment se fait-il que la drogue ne soit pratiquement pas abordée dans le film? Un problème tout de même récurrent dans ces institutions, apparemment.
«Cette problématique est trop vaste. Je pourrais en faire un film en tant que tel. J’ai préféré m’en tenir à une seule scène. Pareil pour l’usage de médicaments. Il y a des pédopsychiatres au sein de ces institutions qui ne voient aucun problème à prescrire des listes entières de médicaments. Surtout des calmants. A posteriori, ceux-ci s’avèrent souvent engendrer une dépendance. Dans le film, on voit que Joe, le personnage principal, refuse de continuer à les prendre à la fin. Cette décision fait partie de son émancipation. Il veut prendre son destin en mains.»
Un des éducateurs dit aux personnages principaux que leur relation n’est pas autorisée. Pour quelle raison?
«Durant mon séjour dans ces institutions, les éducateurs m’ont expliqué qu’ils ont pour instruction de mettre toujours un terme à ces relations. C’est une question de dynamique de groupe et de concentration, apparemment. Ces jeunes doivent se consacrer à leurs études et à leur réintégration dans la société. Mais cela en dit long en soi. Ces jeunes ne peuvent pas se toucher, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas se frapper, mais aussi qu’ils ne peuvent avoir des gestes d’affection. C’est vraiment un cliché magnifié de masculinité.»
LE PARADIS
Ce que Joe, 17ans, a fait exactement, nous ne le savons pas. Mais il se trouve dans un centre de détention pour jeunes délinquants. Il essaie de retrouver le droit chemin et de convaincre le monde extérieur (lisez: le juge de la jeunesse) qu’il peut apporter quelque chose à la société. Mais comment gère-t-on cette terrible soif de liberté? Et la passion qu’on ressent lorsqu’un nouveau, l’intrigant William, arrive au centre? ‘Le Paradis’, le premier long-métrage du réalisateur belge Zeno Graton, est une histoire d’emprisonnement, non seulement au sens propre dans un bâtiment, mais aussi mentalement dans un monde où la sensibilité est interdite. Le film n’est peut-être pas toujours aussi oppressant ou captivant, mais les interprétations des acteurs principaux Khalil Gharbia et Julien De Saint Jean sont subtiles. Graton crée une ambiance tendre dans un milieu dur, et quelques scènes (le poème rappé de Joe, la confrontation avec le juge) donnent les frissons.
3/5
‘Le Paradis’ est sorti en salles.
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