Vous le reconnaissez sans doute pour l’avoir vu dans ’Duelles’, Serre moi fort’ ou ’Girl’ (Magritte du meilleur second rôle en 2019). L’acteur belge Arieh Worthalter passe enfin sur le devant de l’affiche dans ‘Le procès Goldman’ de Cédric Kahn, l’histoire vraie d’un braqueur accusé de deux meurtres, et prenant la salle d’audience à partie.
Vous jouez Pierre Goldman, accusé en 1970 du meurtre de deux pharmaciennes suite à un braquage ayant mal tourné. Peut-on dire qu’il a utilisé son procès pour obliger les gens l’écouter?
Arieh Worthalter
: «C’est ça! Mais pour moi, il se défend avant toute chose. Ce n’est pas un spectacle, même si on peut lui trouver un air de showman de temps à autre. Car au bout du compte il se bat contre la peine de mort. Il ne faut pas l’oublier. Ses grands airs et ce grain de supériorité sont sa façon d’interagir. Sans doute parce qu’il manque profondément de confiance en lui. Mais son sens de la répartie est son arme pour se défendre. Quand il parlait, c’était pour se battre sans poings et sans fusil.»
Vous avez créé tout un langage corporel et une diction très particulière pour le rôle. D’où viennent ces éléments de composition?
«Je me suis assis de longues heures dans mon salon avec le scénario et le livre que Goldman a écrit (‘Souvenirs d’un Juif polonais né en France’, paru en 1975, NDLR). J’ai laissé le temps passer et soudain quelque chose s’est activé en moi. Pour être franc, c’était un peu mystique mais cette drôle de physicalité a fini par émerger. Sa posture, sa présence et sa façon d’écouter tout ce qui l’entoure. Je pense qu’absolument rien ne lui échappait. Pas un seul mot, pas un seul regard.»
Goldman affirme dans le film qu’il ne veut pas être jugé pour qui il est mais pour ce qu’il a fait. Mais le procès s’attache longtemps à cerner l’homme…
«Et c’est une tâche immense de définir un être humain dans sa totalité. Tout le monde le décrit comme quelqu’un de complexe. Je suis d’accord mais je lui trouve aussi beaucoup de naïveté et de simplicité, presque comme un enfant. C’est le trait de sa personne qui m’a le plus intéressé pour l’aborder et entrer dans sa psyché. Tout le monde s’accorde à dire qu’il était malin, brillant, féroce et violent. Il voulait être violent. Mais selon moi, derrière tout ça, il était terriblement sensible et susceptible. C’est ce que j’ai voulu glisser dans le rôle en tout cas. Au bout du compte, ça donne un être au comportement très contradictoire, déchiré entre la colère et l’indulgence.»
Goldman n’envisage pas la défense de la même façon que son avocat…
«Lui et son avocat étaient tous deux juifs ashkénazes, mais ayant choisi une différente manière de transformer le poids de l’héritage de l’Holocauste pesant sur leurs épaules. Je pense que, quelque part, un morceau de Goldman était jaloux de ne pas avoir été capable de trouver la voie plus rangée prise par son avocat. C’était trop dur pour lui, mais pas pour l’homme assis devant lui et chargé de le défendre.»
Plus de 200 figurants ont participé au tournage du procès en huis clos. Comment avez-vous géré toute cette attention?
«Les figurants, qui selon moi sont des acteurs comme les autres, étaient là chaque jour et Cédric leur avait demandé de réagir à tout. Mais il ne leur avait pas indiqué de quelle façon. Je ne savais donc pas comment mon jeu allait être reçu et je sentais la pression, tant du côté de l’accusation que de la défense. Quand je disais quelque chose au juge et que j’entendais des réactions de soutien ou d’indignation, ça me filait la chair de poule. Réellement.»
Qu’avez-vous appris sur la tenue d’un procès et sur la notion de vérité en jouant dans le film?
«Il n’y avait presque aucune preuve concrète dans ce procès. À l’époque, on pouvait finir en prison juste parce que X ou Z vous avait croisé dans la rue. C’est assez fascinant d’observer nos constructions sociétales et civilisationnelles sous cet angle-là. On a besoin de pouvoir juger mais il y a quelque chose de monstrueux là-dedans, quelle que soit la route qu’on emprunte.»
‘Le procès Goldman’ est en salles depuis le 4 octobre.
Notre critique du «Procès Goldman»:
La justice peut-elle juger des actes sans juger l’humain? C’est la question que Pierre Goldman, gangster et militant, pose au tribunal devant le juger suite au meurtre de deux femmes. Quelques semaines après ‘Anatomie d’une chute’, un nouveau film français nous plonge dans un procès d’une ambiguïté folle. Tourné presque entièrement en huis clos et poussant le doute dans des recoins extrêmes, le film fait du public son jury, pendu aux lèvres d’un accusé dégainant tous ses arguments. Caractériel mais brillant, il est défendu avec un talent fou par Arieh Worthalter, un acteur belge sur le point de graver son nom dans nos mémoires. À ses côtés, son avocat est joué par le plus discret mais fascinant Arthur Harari (le coscénariste de ‘Anatomie d’une chute’, ça ne s’invente pas). Plus encore que l’issue du procès, c’est le désaccord total entre ces deux hommes sur la stratégie à suivre, couplé à l’antisémitisme latent de l’accusation, qui étourdit et magnétise en même temps. Intelligent et divertissant, voilà un procès des plus confrontants. 4/5