Les Filles d’Olfa, l’un des films marquants de Cannes 2023, sort aujourd’hui en salles

‘Les Filles d’Olfa’ est-il un documentaire? La réalisatrice Kaouther Ben Hania (‘L’homme qui a vendu sa peau’) le pense. Il est vrai qu’elle demande à une mère, Olfa, et à ses filles de raconter devant sa caméra le malheur qui est arrivé aux sœurs aînées. Mais Ben Hania fait aussi appel à des acteurs pour jouer les personnages manquants. Un entretien avec la réalisatrice d’un des films marquants de Cannes 2023.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 5 min.

Comment avez-vous découvert l’histoire d’Olfa et ses filles?

Kaouther Ben Hania : «Par les nouvelles. Ce que racontait Olfa n’était en soi pas exceptionnel, hélas, mais cela m’a tout de suite parlé. Pour commencer, le fait qu’il s’agissait d’une famille de femmes exclusivement, une mère avec quatre filles, alors que généralement c’étaient de jeunes hommes qui étaient entraînés vers la folie. Olfa faisait en outre partie de ces rares parents à vouloir en parler. La plupart des autres se cachaient de honte. Et s’ils disaient quelque chose, c’était pour s’excuser. Olfa non. Elle pointait un doigt accusateur en direction du gouvernement et de la police.»

Vous n’avez pas encore dit ce qu’il s’est passé exactement avec les deux filles aînées. Préférez-vous que les gens ne le sachent pas avant d’aller voir le film?

«En fait, oui. La vérité est un rebondissement dans le film, une tournure surprenante. C’est la partie visible de l’iceberg, l’aspect qui est apparu dans les médias. Disons que ‘Les Filles d’Olfa’ effleure une tragédie, et qu’à travers ce film, je veux comprendre comment on a pu en arriver là. Je pense effectivement que les spectateurs qui ne savent pas ce qui est arrivé à ces jeunes femmes profiteront davantage du film. C’est certes un documentaire, mais c’est un documentaire avec du suspense. On se demande de quoi il retourne.»

Pour jouer les filles disparues, vous faites appel à des actrices. Avez-vous demandé à Olfa et aux sœurs cadettes leur avis lors du casting?

«Non, je voulais surtout les meilleures actrices pour le film. Je voulais éviter qu’Olfa et les filles donnent la préférence à certaines actrices pour de mauvaises raisons.»

Tous les personnages masculins sont joués par le même acteur, et vous montrez que cet homme refuse à un moment donné de continuer, car il trouve que vous allez trop loin avec les filles. Étiez-vous surprise lorsque c’est arrivé?

«Au moment même, oui, mais a posteriori non. Il ne connaissait pas ces filles et elles étaient en train de raconter des choses terribles. Sa réaction était donc sensée et correcte. Il voulait les protéger. Je dois dire que je me suis alors demandée moi-même s’il n’avait pas raison. J’allais peut-être trop loin. Mais ces filles n’avaient absolument pas besoin de sa protection. Elles l’ont d’ailleurs rassuré et convaincu elles-mêmes. ‘Fais comme si nous étions des actrices et avions appris nos dialogues par coeur’, lui ont-elles dit.» (rires)

Avant d’entamer le tournage, vous avez demandé à tous vos collaborateurs de noter tout ce qu’ils détestaient sur un plateau de tournage. Pourquoi?

«Parce que la confiance mutuelle est de la plus haute importance pour ce film. Je sais d’expérience que les plateaux de cinéma sont parfois un véritable enfer. On y voit parfois des egos démesurés, il peut y avoir d’énormes tensions. Des gens qui pleurent, qui craquent ou qui crient. Ce n’est vraiment pas agréable, parfois, et on ne se sent pas à l’aise. Je voulais donc rédiger une charte, un contrat entre nous pour créer un plateau qui soit le plus sûr et le plus chaleureux possible pour tous. Et surtout pour Olfa et ses filles, car il s’agit de leur vie en fin de compte.»

Y avait-il aussi des remarques auxquelles vous ne vous attendiez pas?

«Non, mais c’était quand même utile. Personnellement, je n’aime pas par exemple quand les gens passent leur temps à se plaindre. Le café est froid? Réchauffe-le et arrête de râler! (rires) Quelqu’un d’autre a écrit qu’un technicien qui a un problème ne doit pas en parler à tout le monde, mais chercher lui-même une solution et s’adresser à la personne qui peut aider. Ce sont de petites choses, mais elles peuvent éviter beaucoup de tensions. On sentait la différence sur le plateau. Je pense que je ferai toujours ainsi dorénavant.»

‘Les Filles d’Olfa’ sort en salles aujourd’hui.

Notre critiques de «Les Filles d’Olfa»:

Olfa est une mère célibataire tunisienne qui a eu quatre filles, mais des deux aînées, elle n’a aucune nouvelle depuis très longtemps. Et il s’en est fallu de peu pour qu’elle ne perde aussi les deux autres. Si vous avez suivi l’actualité de ces dernières années, vous devinerez bien de quoi il s’agit, mais la situation n’en est pas moins poignante pour autant. ‘Les Filles d’Olfa’ aurait pu être sinistre, mais la réalisatrice Kaouther Ben Hania réussit, avec brio, le pari de donner vie à cette famille. Elle remplace les soeurs manquantes par des actrices et laisse les vraies personnes évoquer (et jouer) leurs souvenirs avec enthousiasme. Olfa (Hind Sabri, une vraie star en Tunisie), a droit aussi à une version jouée d’elle-même à ses côtés, la mère est ainsi confrontée à ses décisions et manquements. Cela semble compliqué, mais cela fonctionne parfaitement et nous permet de compatir avec la famille tourmentée sans avoir à se sentir voyeur. 4/5