‘Passages’: «Je ne voulais surtout pas d’un film prude»

Dans son nouveau film ‘Passages’, le cinéaste new-yorkais Ira Sachs (‘Love Is Strange’) raconte l’histoire d’un triangle amoureux passionné, qui a pour originalité d’être en partie homo et en partie hetero. Ce n’est pas une histoire autobiographique, déclare Sachs au Festival du Film de Berlin, mais il y a tout de même des éléments qui sont proches de sa propre vie.

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Ira Sachs: «Je me rappelle très bien ‘The Innocent’, le dernier film de Visconti. Le rôle principal féminin y est joué par Laura Antonelli, et je me sentais très attiré par elle. Pas évident, sachant que je suis homo. Je trouve cette fluidité de la vie et de la sexualité intéressante, la rapidité avec laquelle cela peut glisser. Personne ne peut prévoir ce qui va se passer en sortant de chez soi. Je ne pense pas que Tomas, le personnage central dans ‘Passages’, aurait pu le prévoir. C’est le début du drame.»

Vous deviez, autrement dit, trouver une actrice qui pouvait avoir autant d’impact que Laura Antonelli. Comment en êtes-vous venu à Adèle Exarchopoulos?

«Quand je choisis des acteurs, c’est souvent parce que je les ai remarqués dans un film. Cela vaut aussi pour les trois acteurs principaux de ce film. Franz Rogowski, qui joue Tomas, m’a frappé dans ‘Happy End’ de Michael Haneke, Ben Whishaw m’est resté depuis ‘I’m Not There’ de Todd Haynes, et Adèle Exarchopoulos, je la connais surtout du film ‘Sybil’. Je dois avouer que je n’ai toujours pas vu ‘La vie d’Adèle’. Adèle est phénoménale. J’ai entendu quelqu’un la comparer à Sophia Loren, mais pour moi elle a plus en commun avec Jeanne Moreau. Normale et déesse à la fois.»

Le personnage principal, Tomas, est cinéaste. C’est incontestablement quelqu’un de narcissique aussi, qui ne tient pas compte des sentiments des autres. Ce genre de personne peut-elle faire de bons films?

(rires) «Bonne question. Ce qui est drôle, c’est que je me suis fait la même réflexion ce matin, car je suis tombé sur un collègue dont je trouvais qu’il montrait très peu d’empathie. Je suppose que les gens font différents types de films, selon ce qui les intéresse. L’un n’exclut pas l’autre non plus. Quelqu’un comme Fassbinder [cinéaste allemand notoire des années 1970, NDLR] était clairement narcissique, mais s’y connaissait très bien en relations humaines.»

Les narcissiques peuvent-ils changer?

«Cela aussi dépend de la personne, je pense. Si leur narcissisme est un trouble, ce sera sans doute difficile. Mais chez Tomas, ce n’est pas maladif. Il a peut-être bien un petit côté sociopathe, mais il y a de l’espoir pour lui. On le voit aussi à la fin du film. D’ailleurs, l’histoire n’aurait aucune valeur sinon.»

Tomas dit qu’il traverse une sorte de crise à chaque fois qu’il termine un film. Vous connaissez ça, vous aussi?

«Pas de cette manière. Mais il est vrai que faire un film est une expérience qui vous marque. Cela amène une pression qui a un effet traumatisant. Après ‘Passages’, par exemple, j’ai rêvé pendant six semaines que j’étais sur le tournage, que je devais veiller à ce que le planning du jour soit bouclé. Faire des films est une forme de traumatisme, mais heureusement de plaisir aussi.»

Parlant de plaisir: les scènes de sexe dans ‘Passages’ sont fortes et d’un réalisme rafraîchissant. Quelle est l’importance de ces scènes?

«Je ne voulais surtout pas faire un film prude. Il fallait que ce soit direct. Pour m’inspirer, j’ai visionné notamment avec mes acteurs ‘Taxi zum Klo’, un film allemand des années 1970 avec des scènes de sexe encore beaucoup plus longues. Et ‘Je, tu, il, elle’ de Chantal Akerman, où elle donne à son propre corps une place centrale. Actuellement, il faut presque se rappeler à soi-même qu’il est possible de porter un regard candide sur des corps et des relations intimes entre des personnes. Dans les médias mainstream, ce n’est plus autorisé apparemment.»

‘Passages’ sort en salles aujourd’hui.