‘Sick of Myself’, un film choc sur notre soif de célébrité

‘Sick of Myself’ n’est que le deuxième long-métrage de Kristoffer Borgli, mais le cinéaste norvégien témoigne déjà d’une voix tout à fait personnelle. Et d’un regard affûté, teinté d’humour noir, sur les côtés moins reluisants de l’homme moderne. Dans ce cas-ci, notre soif insatiable d’attention et de célébrité.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 5 min.

‘Sick of Myself’ est un mélange de genres très particulier. Était-ce votre intention dès le départ?

Kristoffer Borgli : «Quelque part, oui. Je voulais faire quelque chose que je n’avais encore jamais vu: une sorte de comédie sentimentale que ferait Woody Allen, mais avec des éléments qu’on attendrait plutôt du body horror. Sans jamais verser dans le surnaturel ou l’horreur. Cela me semblait une bonne idée.»

Signe, votre personnage principal, est manifestement perdue dans sa propre vie. Elle ne sait pas comment lui donner du sens. Comment la décririez-vous?

«C’est quelqu’un qui adorerait être considérée comme une personne intéressante. Seulement, elle a le sentiment que sa vie ne peut intéresser personne. Elle se sent comme un personnage secondaire quelconque dans l’histoire de son petit copain et de ses amis. Elle se crée donc, de manière drastique, sa propre histoire, pour se rendre extrêmement visible et se faire remarquer.»

Elle le fait en s’infligeant une maladie de peau. Comment vous est venue cette idée?

«Cela fait longtemps qu’elle me trotte dans la tête. En 2010, j’ai réalisé un clip vidéo sur des jeunes souffrant d’une maladie de peau, et j’ai réalisé à l’époque déjà qu’il y avait beaucoup de potentiel dans le concept d’une jolie blonde qui a une terrible maladie de peau et qui en est très fière. Cette image ne m’a jamais quitté. Je savais que je touchais une corde sensible.»

En principe, cela pouvait être n’importe quelle maladie de peau. Quel est le concept derrière la maladie de Signe?

«Il fallait qu’elle soit assez grave pour que les médias en parlent, mais pas à tel point que le public détourne les yeux. J’ai longtemps cherché avec Izzi Galindo, la maquilleuse. Nous n’avons pas trouvé de maladie de peau qui nous convenait, nous en avons donc inventé une nous-mêmes, sur base de motifs exotiques de plantes et de feuilles.»

‘Sick of Myself’ n’est que votre deuxième long-métrage, mais on trouve sur internet énormément de courts-métrages, spots publicitaires et clips vidéo dont vous êtes le créateur. Qu’est-ce qui vous motive?

«Le besoin de créer des choses. Avant de pouvoir faire un long-métrage, vous devez convaincre beaucoup de gens et réunir beaucoup d’argent et investir beaucoup de temps. Un court-métrage ou un clip vidéo, c’est nettement plus facile. Comme ça au moins je reste occupé. J’aime vraiment aussi ce format court. C’est comme une idée qui a germé en moi et dont je dois accoucher.»

Un de ces courts-métrages, ‘The Loser’, est accompagné d’un petit texte qui vous décrit comme ‘un étrange nobody qui, tout comme tant d’autres personnes, essaie de travailler dans un média où il n’a peut-être pas sa place’. C’est une blague, je suppose, mais avec un fond de vérité aussi?

«Pas vraiment. Cela portait plus sur le court-métrage en tant que tel, où je campe un interviewer complètement dépassé. Le cinéma m’a toujours intéressé. Adolescent, je travaillais dans une vidéothèque. Le cinéma était déjà toute ma vie à l’époque. Je m’y sens donc tout à fait à ma place.»

Vous vivez entre-temps à Los Angeles. Cette expérience vous a-t-elle façonné en tant que réalisateur?

«Non, je pense que je savais déjà en Norvège ce que je voulais faire. Los Angeles ne m’a pas tellement changé. La différence principale, c’est que je porte désormais des chaussures à l’intérieur de la maison aussi, ce que je ne faisais jamais en Norvège. (rires) Mais à L.A., je suis néanmoins exposé à d’autres manières de penser et de vivre. D’autres types et traits de caractère. Mon père est socio-anthropologue, et je pense avoir hérité quelque part de ses centres d’intérêt. J’aime observer les gens et essayer ainsi de les comprendre.»

SICK OF MYSELF

Signe est jalouse. De son petit ami Thomas en plus. Il est en train de percer dans le monde de l’art à Oslo en créant des meubles originaux, et Signe est en manque de ce genre d’attention. Lorsqu’elle goûte brièvement à la célébrité, après un incident sanglant dans le coffee shop où elle travaille, elle a une idée: pourquoi ne pas se faire remarquer en tant que victime d’une terrible erreur médicale? Le plan de Signe semble fonctionner, mais comme tant d’autres médicaments, il a aussi des effets indésirables. Dans sa satire grinçante ‘Sick of Myself’, le cinéaste norvégien Kristoffer Borgli est impitoyable avec la culture de victimisation actuelle. Les notes comiques et situations honteuses qu’il invente ne sont pas toutes aussi mordantes qu’il ne le voudrait. Mais tout comme on doit souvent s’obliger à détourner les yeux d’une personne atteinte d’une malformation (sachant que ce n’est pas bien de la fixer), on regarde quand même avec une étrange fascination.

3/5

‘Sick of Myself’ sort en salles ce mercredi.

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