Asif Kapadia signe le documentaire controversé "Amy"

par
Laura
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Quatre ans après la mort d'Amy Winehouse, le réalisateur Asif Kapadia ressuscite la regrettée chanteuse dans un documentaire poignant, «Amy». Des images totalement inédites et des entretiens approfondis avec les amis, la famille, les ex et les collègues d'Amy, en font un film tellement intime que l'on a l'impression à la fin d'avoir soi-même perdu un être cher. Le père d'Amy, Mitch Winehouse, a collaboré au film lui aussi, mais a dit «no no no» quand il a vu le résultat final. Une conversation avec Asif Kapadia.

Le film est constitué en grande partie d'images personnelles. Comment avez-vous pu mettre la main dessus?

Asif Kapadia: «Les amis et la famille d'Amy me les ont eux-mêmes proposées. J'ai fait de longues interviews de tous ceux qui l'ont connue de près. C'étaient des conversations très intenses, que je ne filmais pas, mais que j'enregistrais simplement avec un micro. J'éteignais aussi la lumière, car j'avais remarqué que les gens devenaient ainsi plus honnêtes et plus ouverts. C'était une sorte de thérapie pour eux, cela leur faisait visiblement du bien de parler d'Amy. Et à la fin de l'entretien, ils me disaient souvent qu'ils avaient encore, quelque part, une home video, un message voicemail ou quelques photos que je pouvais utiliser.»

Vous êtes donc parvenu à gagner leur confiance. Cela n'a pas dû être facile.

«Non. À ce moment-là, les proches d'Amy étaient toujours très en colère et blessés par sa mort. Et ils avaient peur en outre que des journalistes ou des cinéastes comme moi exploiteraient Amy, pour la énième fois. Mais je leur ai clairement expliqué d'emblée que je voulais montrer une autre Amy, une Amy que le grand public ne connaissait pas encore.»

Mitch, le père d'Amy, a lui aussi collaboré au film. Et pourtant, il était fâché sur vous après coup. Il trouvait que vous l'aviez présentée comme la coupable.

«Je suis parti d'une page blanche: je ne connaissais ni Amy, ni son entourage. Je n'avais aucun préjugé. Ce que je montre, provient donc directement des interviews que j'ai faites. Le film montre surtout à quel point la vie d'Amy était compliquée. Elle n'allait pas bien, et beaucoup de gens autour d'elle ont pris des décisions qui n'étaient pas vraiment bénéfiques pour elle. En ce qui concerne Mitch: il suffit d'écouter les paroles de ‘Rehab'. Amy y dit littéralement que son père jugeait qu'il n'était pas nécessaire de l'envoyer dans un centre de désintoxication. Mais le film, au bout du compte, ne parle pas de Mitch. Le titre c'est ‘Amy', tout tourne autour d'elle. Et tous ceux qui voient le film, l'aiment. En tant que père, je me réjouirais surtout de cela.»

Les tabloïds britanniques n'ont pas non plus facilité la vie d'Amy. Plus elle allait mal, plus il y avait de paparazzis et de caméras de télévision à la suivre. À la longue, elle n'avait plus du tout de vie privée. Ne vous sentiez-vous pas mal à l'aise de plonger à nouveau dans sa vie privée?

«Je ne voyais pas les choses ainsi. Je voulais, avec ce film, rétablir l'équilibre, montrer qui était vraiment Amy, loin des flashs des caméras. Les textes de ses chansons m'ont énormément aidé: je ne comprenais pas vraiment de quoi elles parlaient avant -peut-être que je n'écoutais pas assez bien-, mais en fait elles contiennent presque tout ce que vous devez savoir sur elle. Les chansons sont donc devenues mon fil conducteur lors du montage. Très révélatrices aussi étaient les images d'Amy petite fille. On y voit à quel point elle était incroyablement drôle et intelligente. On veut tout de suite devenir ami avec elle.»

Vous ne donnez la parole à aucun paparazzi. En avez-vous rencontré?

«Oui, beaucoup même. Ils se sentent presque tous coupables, mais ils faisaient tout simplement leur job, selon leurs propres dires. C'est vrai, cela les met quand-même mal à l'aise parfois, mais pour eux, c'était presque comme si Amy n'était pas une vraie personne. C'est de ça aussi que parle le film: l'impudence avec laquelle les médias travaillent aujourd'hui. Quand j'ai commencé ce projet, on me disait souvent: ‘Il est trop tôt pour faire ce film'. Mais je voulais justement être très près de l'actualité. Il ne s'agit pas d'une autre époque, mais d'hier et d'aujourd'hui! Du Londres dans lequel je vis, des journaux que les gens lisent toujours, et des journalistes qui sont toujours actifs. Rien n'a changé encore.»

Mais les gens qui ont avidement consommé les infos et ragots sur Amy Winehouse ne sont-ils pas coupables eux aussi?

Bien sûr! Nous avons tous contribué à la mort d'Amy. Nous avons tous regardé les talkshows où l'on se moquait d'elle, nous avons même fait des blagues et envoyé des tweets à son sujet... Et si elle n'avait pas été là, nous l'aurions sans doute fait avec quelqu'un d'autre. C'est la raison pour laquelle le film engendre un questionnement et une gêne chez beaucoup de gens. Mais c'était justement le but: je voulais inciter le spectateur à réfléchir. Nous pouvons alors peut-être éviter ce genre de drame la prochaine fois.»

L'entourage professionnel d'Amy en prend aussi pour son grade.

«Oui. L'industrie musicale doit aussi balayer devant sa porte. Ils utilisent un comportement autodestructeur comme un outil de marketing. Plus il y a de scandales, mieux c'est. Et au lieu de protéger des musiciens vulnérables, ils exaltent délibérément leur consommation de drogues. Car, c'est comme avec les peintres: un artiste mort vend plus qu'un artiste vivant...»