Elle a mis le feu à Esperanzah: rencontre avec Suzane

Après avoir mis le feu à Esperanzah! fin juillet, Suzane revient en Belgique le 17 novembre à l’Ancienne Belgique. L’auteure-compositrice-interprète y défendra ses textes tantôt militants tantôt légers, mais toujours sur des rythmes pop et pleins d’énergie.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Comment avez-vous pensé cette nouvelle tournée?

«C’est une set list un peu spéciale sur cette saison. J’ai concocté un mélange du premier album, Toï Toï, et de morceaux du nouvel album. Je voulais partager mes nouvelles chansons en avant-première avec le public qui me suit. Il y avait un très bel élan en Belgique, notamment avec les Francos de Spa. Je suis venue plusieurs fois et j’ai un public belge trop cool à chaque fois que je viens!»

C’est donc comme à vos débuts: on découvre les chansons en live avant qu’elles n’arrivent sur les plateformes?

«Oui, j’aime partager mes chansons en concert, avant que les gens ne les aient dans les oreilles, seuls chez eux. C’est un peu le karma qui en a décidé ainsi. Au début, j’écrivais mes chansons sur le coin d’un bar. Finalement, je me suis retrouvée très vite sur scène parce que j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Sur scène, je chantais les chansons qui se retrouvent sur Toï Toï alors que je n’avais pas sorti d’album, pas même d’EP. Mon histoire a commencé sur scène. Ça me semblait logique de la continuer comme ça.»

Ça doit être un pari risqué aussi, non?

«Oui, c’est aussi un peu kamikaze comme choix! D’arriver sur scène sans avoir sorti d’album, avec des chansons que les gens ne connaissent pas… Mais ces chansons m’ont accompagnée pendant un an et demi: ça aurait été une trop grande frustration de ne pas les partager! Et puis, mon terrain c’est la scène: c’est avec une vraie voix live, des émotions sur lesquelles on ne peut pas tricher, les visuels, mes chorés… que je fais entrer le public dans cet univers.»

Toujours en seule en scène?

«Oui, pour le moment je suis bien dans ce format-là. Avec Toï Toï, je montais sur scène très spontanément. Ici, j’ai poussé les curseurs un plus loin, tant dans la scénographie que les visuels, la danse, l’émotion. Donc seule en scène, mais les équipes sont de plus en plus grosses sur le côté! J’espère être le genre d’artiste qui arrive à déclencher des lâcher-prise dans le public. Qu’il arrive à danser, à pleurer peut-être parfois. Qu’il voyage avec moi à travers ces chansons.»

On a tout de même déjà découvert quelques extraits du nouvel album, dont «Clit is good». Un clip censuré par Youtube. Comment avez-vous réagi?

«La raison de cette censure, m’ont-ils expliqué, c’est le titre. J’aurais eu beau tourner toutes les images du monde, c’est juste à cause du mot ‘clit’, de ces quatre lettres. Quelle incohérence de censurer ce clip! Alors qu’aujourd’hui le corps des femmes est constamment objectivé, sexualisé et violenté au final. Mais quand on parle de plaisir féminin et qu’on se réapproprie le discours, ça devient soudainement déplacé et scandaleux. C’est plutôt cette incohérence et cette censure que je trouve scandaleuse.

Cela révèle aussi qu’il y a encore beaucoup de travail. Dans cette chanson, je ne parle pas uniquement de masturbation. Je parle surtout d’égalité: la femme doit arriver à ce plaisir sans culpabiliser, sans honte. Aujourd’hui, le plaisir masculin domine largement le plaisir féminin. Ça ne pose visiblement de problème à personne, à part aux femmes; et encore, quand elles osent en parler.»

Ce «Clit is good», c’est donc signe d’un nouvel album engagé?

«Oui, ‘Clit is Good’ ouvre l’album et l’annonce engagé. En même temps, ça me semble tellement naturel de parler de ces choses-là. Je suis une femme et je parle de plaisir féminin, car pour moi ça semblait être flou dans ma vie. C’était quand même fou!»

Flou?

«Oui. Il me restait des zones d’ombre dans ma façon de voir mon corps, de voir le corps de la femme. Le clitoris a été schématisé pour la première fois en 2005. Mis dans les livres scolaires pour la première fois en 2017. Je pense que je ne suis pas la seule à avoir des zones de flou: énormément ne savent absolument pas à quoi ressemble un clitoris! Le corps de la femme n’est pas représenté dans son entièreté. Pourquoi? Est-ce parce que ça fait peur? Parce que cet organe n’est lié qu’au plaisir? On sait que dans certains endroits, on excise encore des femmes pour ça. Donc oui, ‘Clit is good’, cette chanson est importante pour moi. Je la défendrai corps et âme.»

Autre extrait dévoilé, «Belladonna». On est dans un autre registre!

«‘Belladonna’ a un aspect plus estival, plus léger. Je pense qu’il y a beaucoup de nuances dans ce nouvel album. On a besoin de toute cette palette de couleurs. La vie n’est pas que noire ou rose. Dans ce deuxième album, j’ai essayé de représenter toutes ces émotions et ces couleurs. Tout en ayant un œil sur ce que font les autres, aussi: c’est important pour moi de regarder les gens qui font ce monde. Pour trouver ma place aussi, auprès de ces autres humains.»

Vous avez constaté des différences dans la création de ce deuxième album, par rapport au premier?

«Sur le coup, tout cela me semblait naturel. C’est après que l’on analyse et que l’on réalise que ce que l’on a écrit n’était peut-être pas anodin. Sur ce deuxième album, j’ai plus écrit en ‘je’, alors que j’avais du mal à le faire avant. Je me positionnais souvent dans du ‘tu’ ou du ‘il’. Cela s’est débloqué. La création d’un album, c’est un voyage toujours intense. On va au fond de soi. J’ai l’impression que chaque album est une thérapie. Dans celui-ci, on sent une quête d’aller vers moi-même, de trouver ma place. La quête de liberté. Celle d’être une femme comme je veux l’être, sans que l’on m’impose quoi que ce soit. J’espère qu’il aura une belle vie!»