Les smartphones sont-ils en train de tuer l’industrie des concerts?
Depuis une vingtaine d’années, les téléphones portables ont pris une place démesurée dans la vie quotidienne. On les emmène partout avec nous, y compris dans les concerts et les spectacles. Mais certains artistes voient d’un mauvais œil la présence de ces appareils numériques dans les mains de leur public. Décryptage.
Pas de téléphone. Voilà la consigne qu’ont reçue les quelques journalistes et influenceurs triés sur le volet qui ont pu assister au concert que donnait Beyoncé, le 21 janvier, dans le complexe hôtelier Atlantis the Royal de Dubaï. Ils ont même dû déposer leur smartphone dans des pochettes verrouillées pour qu’ils ne soient pas tentés d’enregistrer des bribes de la représentation, selon le Guardian. Mais cette mesure de précaution n’a pas empêché plusieurs vidéos pirates de circuler sur les réseaux sociaux dès la fin de concert. Pour le plus grand plaisir des fans de la chanteuse américaine.
Cette affaire illustre à quel point les téléphones portables se sont invités dans nos divertissements. Il ne se passe pas un concert ou un festival de musique sans que l’artiste sur scène ne doive se produire devant une nuée de smartphones levés pour le filmer ou le photographier. Certains s’en sont accommodés et ont intégré les codes des réseaux sociaux dans la scénographie de leurs spectacles, tandis que d’autres supportent de moins en moins l’intrusion de ces appareils technologiques dans les salles de concert.
C’est le cas de Mitski. La chanteuse nippo-américaine s’est insurgée en février contre ce phénomène sur Twitter, même si elle avait officiellement quitté les réseaux sociaux en 2019. Elle a expliqué dans une série de tweets, qu’a pu consulter le Los Angeles Times avant leur suppression, à quel point la présence de smartphones durant ses représentations la met mal à l’aise. "Quand je suis sur scène et que je regarde vers vous mais que vous regardez un écran, j'ai l'impression que ceux d'entre nous qui sont sur scène sont pris et consommés comme du contenu, au lieu de pouvoir partager un moment avec vous", a écrit Mitski.
De nombreux artistes et groupes comme Bruno Mars, Alicia Keys, Kendrick Lamar, Guns N’ Roses et The Lumineers demandent à leurs fans de préserver la magie des concerts en s’abstenant de sortir leur téléphone quand ils sont sur scène. "Cette combinaison de personnes, ici et maintenant, ne se reproduira plus jamais. Et nous aimerions nous en souvenir. Alors s'il vous plaît, bitte schön, pouvons-nous faire une chanson ensemble sans téléphone ?", avait déclaré Chris Martin, le leader de Coldplay, en juillet 2022, lors d’une représentation à Francfort en Allemagne.
Quelques-uns vont plus loin en interdisant, purement et simplement, l’utilisation des smartphones durant leurs concerts. Jack White a été un pionnier du genre en s’associant, dès 2018, avec la start-up californienne Yondr. Celle-ci a mis au point une pochette en néoprène, destinée à recueillir les téléphones des spectateurs à l’entrée du concert. Elles sont ensuite scellées à l’aide d’une sorte d’antivol pour vêtement. Le but : assurer à chacun, un concert sans la moindre distraction. Le fondateur de Yondr, Graham Dugoni, a même affirmé dans un entretien au New York Times que ces pochettes "aident les gens à vivre à l'ère numérique d'une manière qui n'évide pas tout le sens de leur vie".
Mais qu’en pensent les fans ? Sont-ils prêts à renoncer momentanément à ces bijoux de technologie qui leur permettent de partager chaque instant de leur vie avec des inconnus ? Difficile de répondre à cette question, surtout depuis la pandémie de Covid-19. En effet, l’arrêt momentané des concerts et des festivals a poussé les mélomanes à se divertir en ligne. Ils se sont alors tournés vers des plateformes de jeux vidéo comme Fortnite, Roblox et Minecraft pour voir leurs idoles sur scène sous la forme d’avatars hyperréalistes. Ils pouvaient commenter en direct ces représentations futuristes avec leurs proches sur Twitter et consorts, capture d’écran à l’appui.
Mais les concerts "physiques" ne se prêtent pas à cette immédiateté numérique. Les artistes les conçoivent comme des moments privilégiés avec leur public, loin de la pression des réseaux sociaux. "En présence des caméras, on se dit : "Je ne sais pas si je veux essayer ce pas de danse ce soir", ou on a peur que la blague qu'on a faite soit diffusée sur Internet", a confié le chanteur Bruno Mars au Los Angeles Times en 2022.
Cette volonté de prendre ses distances avec le tout-numérique ne se limite pas qu’aux concerts et aux festivals. De nombreux musiciens d’envergure internationale dénoncent les pressions qu’ils subissent de la part des maisons de disque pour qu’ils produisent du contenu à destination des réseaux sociaux, et tout particulièrement TikTok. Et ce, même si leurs créations musicales ne s’adressent pas aux (très) jeunes utilisateurs de ces plateformes. La chanteuse multi-primée Adele avait ainsi déclaré dans un entretien à Apple Music qu’elle ne souhaite absolument pas devenir populaire sur TikTok. "Je préfère m’adresser aux gens qui sont à mon niveau en termes de nombre d’années que nous avons passées sur Terre et de choses que nous avons vécues", avait-elle expliqué. "Je ne veux pas que des enfants de 12 ans écoutent l’album ["30"]. C’est un peu trop profond".
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