Comment notre smartphone détruit notre mémoire à petit feu
Vous avez l’impression de ne plus vous souvenir de rien? D’être incapable de retenir un rendez-vous sans le noter dans votre agenda électronique, incapable de vous souvenir des numéros importants ou mêmes des itinéraires que vous empruntez occasionnellement? Vous êtes loin d’être le seul: dans une étude de 2021, 80% des sondés affirmaient que leur mémoire était pire qu’avant la pandémie.
Les périodes prolongées de stress, d’isolement et d’épuisement sont bien connues pour avoir des impacts sur notre mémoire. Mais la pandémie a engendré un autre constat: l’utilisation accrue de nos smartphones, avec leur lot de notifications incessantes, de distraction au bout des doigts et de scrolling infini. Nos petits écrans de poche seraient-ils eux aussi responsables de nos pertes de mémoire?
En déléguant une partie de notre mémoire à un objet externe, cela amoindrit-il nos capacités mnésiques? Les smartphones provoquent-ils des «amnésies digitales»? Sur cette question, les neuroscientifiques apparaissent divisés.
Se détourner du présent
«Une fois que vous arrêtez d’utiliser votre mémoire, cela empirera et vous obligera à utiliser encore plus vos appareils», explique Olivier Hardt, professeur de psychologie à l’université McGill interrogé par le Guardian. «Aujourd’hui, nous les utilisons pour tout. C’est très pratique, mais cette commodité a un prix. C’est bon pour vous de faire certaines choses dans votre tête.»
Nos téléphones ont tendance à détourner notre attention du moment présent: on est dès lors moins en mesure de se souvenir de nos propres expériences. «Si vous faites attention à votre téléphone, vous ne faites attention à rien d’autre. Cela peut sembler une observation banale, mais c’est en fait très profond. Parce que vous ne vous souviendrez que des choses auxquelles vous faites attention. Si vous n’y prêtez pas attention, vous n’en aurez littéralement aucun souvenir», renchérit Catherine Price, autrice de «Lâche ton téléphone!».
Nuire à la créativité
Qui plus est, ce ne sont pas seulement nos souvenirs qui sont impactés. Les distractions constantes rendent l’encodage d’informations difficile pour notre mémoire. Or, les applications sont conçues dans le but précis d’attirer notre attention et d’interrompre nos activités pour se ruer sur nos écrans.
«Ces distractions peuvent impacter notre capacité non seulement à accumuler des souvenirs, mais aussi à les transférer dans notre mémoire à long terme», développe Catherine Price. «Cela entrave notre capacité à avoir des pensées profondes et intéressantes, et à faire des liens dans notre esprit entre des choses à première vue disparates.» Cela peut donc nuire à notre créativité, qui a besoin «de matière première» pour se développer, autrement dit des souvenirs à long terme.
Retenir l’essentiel, vraiment?
À l’opposé, d’autres experts ne s’inquiètent pas d’un éventuel impact des smartphones sur notre mémoire, arguant que l’être humain a toujours s’est toujours reposé sur la technologie, dans toutes ses formes.
«Nous avons toujours délégué des tâches aux appareils externes, comme la prise de notes, et ça nous a permis d’avoir des vies plus complexes», argumente Chris Bird, professeur de neurosciences à l’université de Sussex, dans le Guardian. «Utiliser ces appareils externes pour augmenter notre capacité de mémoire n’est pas un problème. Cela nous laisse du temps pour nous concentrer et nous souvenir d’autres choses», estime-t-il. «La plupart des choses pour lesquelles nous utilisons nos smartphones sont des choses difficiles à retenir pour les cerveaux humains.»
Olivier Hardt ne partage pas cet avis. «La lecture de cartes, par exemple, est difficile. C’est pourquoi nous la déléguons facilement à des appareils équipés de GPS. Mais ce qui est difficile est aussi bon pour nous: cela engage des processus cognitifs et des structures cérébrales qui agiront sur notre fonctionnement cognitif global», contredit ce spécialiste de la mémoire. Autrement dit: mettre notre cerveau à rude épreuve permet d’accroître et d’entretenir ses capacités sur le long terme.
S’il n’a pas encore de données officielles sur lesquelles se baser, le professeur Hardt est catégorique: toujours tout déléguer à notre smartphone «a un coût, et cela pourrait être une énorme augmentation des amnésies et de la démence», pointe-t-il auprès du quotidien britannique.
Quand les écrans abîment le cerveau
Une étude, toujours en cours, semble lui donner raison. Celle-ci suit pas moins de 10.000 jeunes Américains sur toute une décennie, de leur enfance à l’âge adulte. Les premiers résultats ont démontré un lien clair entre la consommation des écrans et l’amincissement du cortex cérébral. L’amincissement cortical est un processus tout à fait normal lorsqu’il intervient avec le vieillissement. En revanche, l’observer chez les enfants est totalement prématuré.
Cette étude sera en mesure d’en évaluer précisément les conséquences lorsqu’elle se clôturera. Néanmoins, ces premiers résultats inquiètent les spécialistes: en effet, l’amincissement du cortex cérébral affecte le langage, la perception et la mémoire. Il est également associé à des maladies dégénératives telles que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer.
Dans l’attente d’études scientifiques terminées et validées sur la question, mieux vaut peut-être se fier à ce vieil adage : mieux vaut prévenir que guérir. En l’occurrence, essayer de réduire notre temps passé sur les écrans !