La crise sanitaire a toujours de lourds impacts sur la santé mentale des jeunes: les médecins s’inquiètent
La crise sanitaire a fait exploser le mal-être chez les jeunes: deux ans après, la vague de problèmes psychiatriques n’est pas retombée et inquiète les médecins, d’autant que les moyens manquent pour y faire face.
«Depuis septembre 2020, on observe une nette hausse des passages aux urgences pour des tentatives de suicide», affirme à l’AFP Vincent Trebossen, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), dans le nord-est de Paris.
Ces cas y ont augmenté de 25% en janvier, février et mars 2022, par rapport à la même période de 2021.
Selon le dernier bulletin de Santé publique France, les passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur chez les 11-17 ans se maintenaient début mai «à un niveau élevé», supérieur à celui observé début 2021.
Si tous les milieux sociaux sont touchés, dans 80% des cas les comportements suicidaires concernent des jeunes filles, ce qui n’est pas nouveau.
Dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Robert-Debré, on constate aussi un rajeunissement de l’âge des premiers passages à l’acte, et des prises de médicaments à des doses de plus en plus élevées.
«A la sortie du premier confinement, on se disait que les circonstances étaient exceptionnelles, avec un niveau de stress extrêmement élevé; la surprise, c’est que la hausse des crises se maintient dans le temps», souligne le Dr Trebossen.
Les médecins peinent à expliquer la poursuite d’une tendance enclenchée avant la Covid, qui s’est accélérée avec la crise sanitaire et ne s’est pas essoufflée depuis.
«C’est rarement une seule cause qui engendre un acte suicidaire, mais l’accumulation de facteurs de stress, sur un terrain plus ou moins vulnérable», relève Vincent Trebossen.
Parfois une simple «mauvaise note à l’école» peut tout faire basculer. Mais il est vrai que «le climat ambiant est assez difficile à vivre» pour un grand nombre de jeunes, reconnaît-il.
Guerre en Ukraine, anxiété écologique, difficultés socio-économiques sont autant de préoccupations qui sont venues s’ajouter à des édifices mentaux déjà fragilisés par la crise sanitaire.
Ce mercredi, le Dr Trebossen accueille la mère d’une jeune fille de 13 ans, qui a tenté de mettre fin à ses jours en absorbant des antidépresseurs, avant d’appeler le Samu.
«Ma fille a commencé à aller mal il y a un peu plus d’un an», raconte-t-elle à l’AFP. Son geste, elle l’explique notamment par la pression de son ancien collège, pour sportifs de haut niveau.
«La Covid avait aussi créé des contraintes et un contexte anxiogène qui ont pu exacerber des tensions», avance-t-elle, sans être certaine d’appréhender toutes les raisons qui ont poussé son enfant à commettre cette tentative.
La jeune fille va rester hospitalisée plusieurs jours à Robert-Debré. «On nous a dit que quand une place se libérait, il fallait sauter dessus», rapporte sa mère, s’estimant «chanceuse».
«Dans de nombreux endroits, les lits sont saturés», confirme le Dr Trebossen. Avec «parfois des enfants qui restent une semaine aux urgences, sans pouvoir bénéficier des soins les plus adaptés, en attendant une place en pédopsychiatrie».
Depuis quelques mois, les délais pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre se sont nettement allongés. Dans les centres médico-psychologiques, ils peuvent atteindre 18 mois dans certaines régions.
Face aux besoins croissants, certaines structures ont vu le jour comme l’Atrap dans le 20e arrondissement à Paris, qui promet une réponse rapide (48h maximum) aux jeunes âgés de 10 à 15 ans en état de crise et qui n’ont pas de suivi psychiatrique dans leur secteur.
Mais elle n’est accessible qu’aux Parisiens. Or «on est de plus en plus souvent sollicités par des demandes venant de toute la France», indique à l’AFP Anaël Ayrolles, chef de clinique en psychiatrie à Robert-Debré. «Aujourd’hui par exemple, j’ai été contacté par un médecin de Vichy qui ne trouvait aucun lit disponible en Auvergne-Rhône-Alpes».
«Cela doit nous encourager à revoir notre système de soins mais aussi à nous interroger sur la perception des facteurs de stress dans la société», plaide-t-il.