La philosophie Tubbe pour réinsuffler de la vie dans les maisons repos et un soutien à l’autonomie

La philosophie Tubbe, du nom de son créateur suédois, entend favoriser l’évolution des maisons de repos vers des lieux de vie où résidents et membres du personnel organisent le quotidien de manière participative. Une sorte de pédagogie active pour les seniors qui pourrait bien emmener ces établissements vers un nouveau paradigme, peut-être plus heureux.

par
Lucie Hage
Temps de lecture 6 min.

Ces derniers jours, les maisons de repos et de soins sont sous le feu des critiques, notamment au regard du manque de personnel qui induit inévitablement des situations compliquées tant pour les résidents que pour les aidants. Mais parallèlement à ce problème structurel, certains tentent tout de même de mettre en place un nouveau paradigme, en implémentant, par exemple, le projet Tubbe.

Suite au succès de six projets pilotes (trois en Wallonie et trois à Bruxelles), la Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec l’Aviq et Iriscare, et avec le soutien de la ministre wallonne de la santé Christie Morreale ainsi que de son homologue bruxellois Alain Maron, a décidé de soutenir 46 nouveaux projets (10 à Bruxelles et 36 en Wallonie). Chaque établissement choisi sur la base d’un dossier de candidature, bénéficie d’un un coaching personnalisé pour implémenter cette nouvelle philosophie.

Nous avons voulu découvrir de l’intérieur comment ces projets sont mis en place dans deux maisons aux profils différents: la Résidence Exclusiv à Evere et la Résidences-Services Champ de Saucy à Frasnes-Lez-Gosselies.

Une philosophie sur-mesure

Pierre, ergothérapeute à la Résidence Exclusiv à Evere, se tient au milieu d’une poignée de résidents attendris. Il tient un lapin dans les bras. C’est Jeannot. Ce sont les résidents qui l’ont choisi et nommé. La directrice avait envie depuis longtemps d’aller vers une philosophie plus participative: «Nous nous rendions compte que les résidents avaient du mal à s’approprier leur maison de repos comme un lieu de vie. Ils attendaient tout de nous, étaient peu actifs. C’était un peu comme si eux venaient sur notre lieu de travail. Or, nous voulons qu’ils aient plutôt l’impression que ce sont les soignants qui viennent travailler sur leur lieu de vie», explique Dolores Faye Pires.

À Champ de Saucy, on avait expérimenté Montessori mais la directrice a finalement été convaincue par Tubbe: «Nous avions fait une formation Montessori mais avions trouvé que c’était assez rigide et laborieux à mettre en place. Lorsque nous avons eu connaissance de Tubbe, nous avons trouvé cela plus accessible car c’est vraiment du sur-mesure donc plus souple à organiser», détaille Marie-Cécile Corbisier. Chaque maison peut en effet décider, avec l’aide d’un coach spécialisé dans le modèle Tubbe, quelles actions concrètes mettre en place pour cheminer vers ce changement de paradigme. Et c’est d’autant plus important que les réalités diffèrent fortement selon que les résidents soient encore vaillants ou pas.

Aller voir un concert?

La direction a pour mission de favoriser la réflexion progressive en se montrant ouverte à de nouvelles idées. C’est également un des grands principes de Tubbe. À Champ de Saucy, une résidente et un résident rejoignent la table autour de laquelle nous échangeons avec la directrice. Ils sont tous deux très concernés par le projet: «J’ai adoré la balade au lac de Bambois que nous avions choisie ensemble», nous confie Ivan Van Haesbroeck. Son regard devient ensuite plus malicieux: «J’aimerais bien que nous allions voir un concert de ZZ Top!». «Moi, c’est le shopping que je préfère et voir les enfants de l’école primaire», affirme quant à elle Renée Stevaux. Ils sont en tout cas tous les deux ravis qu’on leur demande plus souvent leur avis. Depuis la fin des mesures Covid, ils ont choisi ensemble d’aller manger des glaces ou encore de cuisiner des biscuits pour remercier les enfants qui leur avaient envoyé des petites cartes durant la Covid… «Nous étions déjà fort à l’écoute de nos locataires mais ce qui change maintenant c’est que nous les accompagnons pour qu’ils soient plus actifs dans l’organisation même des activités. Par exemple, ils vont chercher eux-mêmes des adresses, passer des coups de fil», explique la directrice. Lors du conseil des résidents, ils notent les idées sur un grand tableau et décident démocratiquement de ce qu’ils souhaitent mettre en place.

À la Résidence Exclusiv à Evere, les résidents sont souvent moins vaillants: le principe est donc le même mais les sorties sont moins importantes. «L’autre jour, une résidente avait besoin d’un produit spécifique. Nous avons été avec elle au petit supermarché au bout de la rue. En temps normal, on aurait envoyé quelqu’un pour elle», explique la logopède, Nathalie Mariscal.

L’uniforme, tout un symbole

À la Résidence Exclusiv, la blouse blanche reste de rigueur. Mais le badge, lui, n’affiche plus que le prénom du soignant: «Nous vouvoyons nos résidents mais nous les appelons par leur prénom. Pourquoi eux nous appelleraient-ils par notre nom de famille?». À Champ de Saucy, on a franchi le pas: «Nous n’avons plus d’uniformes. Chacun a un tablier différent. Ici des grandes fleurs multicolores, là des éléphants ou des grands papillons. Nous ne portons pas de badges non plus. Cet abandon de l’uniforme ne s’est pas passé sans mal mais, curieusement, les difficultés sont plus venues des familles que du personnel lui-même.Certaines familles ont eu un peu de mal car la traditionnelle blouse blanche les rassure. Je suis convaincue que certaines viennent visiter notre établissement et ne reviennent pas à cause de cela.» Un constat qui ne mine pas la directrice, son établissement connaît un taux d’occupation élevé et mieux vaut y abriter des personnes en accord avec les valeurs.

Mettre les forces des résidents à profit

Ivan, le résident de Champ de Saucy, était professeur d’anglais. Il a pris l’initiative d’animer un moment les élèves de l’école primaire venus leur rendre visite en citant des débuts de proverbes et en leur demandant de deviner la fin. Si un résident est passionné de cuisine, il peut organiser un atelier. Un adepte de potagers? Il suffit de trouver un coin de verdure, comme à la Résidence Exclusiv où plusieurs dames s’affairaient lors de notre visite. Un piano peut être installé pour ceux qui savent en jouer… À Champ de Saucy, une idée va se concrétiser: proposer à un résident de participer à la présentation des lieux lors de la visite d’un nouveau résident et de sa famille. Il pourra ainsi parler de son quotidien en toute franchise. Avec le coach, qui vient régulièrement pour les accompagner dans leur évolution, la directrice aimerait également trouver une procédure pour que les résidents arrivent à gérer eux-mêmes les petits conflits qui peuvent naître entre eux.

Un mieux pour le personnel également

La philosophie Tubbe revêt une vision holistique et prend en compte tout le système, y compris le bien-être du personnel encadrant. Dolores Faye Pires en est convaincue: «Si le personnel est heureux, les résidents auront plus de chance de l’être et puis il y aura moins d’absentéisme. C’est mieux pour tout le monde». Selon la Fondation Roi Baudouin, qui finance le coaching des MR-MRS qui se lancent dans l’aventure Tubbe, chaque organisation doit avoir pour objectif central de créer «un foyer pour les résidents et une maison pour les collaborateurs». Et si Tubbe est un formidable outil pour réinsuffler de la vie dans les maisons ainsi qu’un soutien à l’autonomie, une question se pose avec acuité: quand passera-t-on du stade de l’expérience sponsorisée à une véritable implémentation de ce type de projet dans les normes de financement pour faire que l’esprit Tubbe ne constitue pas qu’un tube éphémère mais bien une idée révolutionnaire susceptible de se généraliser?