La psychodermatologie, une spécialité méconnue qui soigne la peau par l’écoute
La psychodermatologie tente aujourd’hui de remédier aux maladies de la peau par l’écoute, l’échange, et la prévention.
La peau peut être une véritable éponge, absorbant en continu toutes nos émotions. Colère, stress, anxiété, et peur, peuvent déclencher des poussées d’acné et de rosacée, voire accélérer l’apparition des rides, à notre insu – ou presque. Une chose amplifiée ces dernières années par un rythme de vie effréné, et davantage encore par la pandémie, qui a exacerbé ces émotions négatives. La psychodermatologie, qui s’intéresse à l’influence du psychisme sur les maladies dermatologiques, tente aujourd’hui d’y remédier par l’écoute, l’échange, et la prévention. Une forme de médecine lente que pratique le Dr. Anny Cohen-Letessier, dermatologue, membre de la Société française de dermatologie, qui nous explique ces liens étroits entre le cerveau et la peau auxquels s’intéressent de plus en plus les scientifiques.
Qu’est-ce que la psychodermatologie?
«C’est une spécialité dans la spécialité qui peut faire l’objet d’un diplôme post universitaire ou simplement d’un mode d’exercice. Il s’agit de prendre en charge la globalité du patient et de ses troubles qui s’expriment par des problèmes de peau, et cela demande du temps et de l’écoute. Il faut toujours être attentif à ce qui se cache derrière le bouton. La peau, visuellement accessible, va parler. On connaît aujourd’hui l’impact du stress sur le déclenchement ou la révélation d’une maladie de peau, et la prise en charge psychologique au cours d’une consultation dermatologique est essentielle pour en comprendre l’origine.»
«Toutes les maladies de peau peuvent être aggravées par un stress psychologique – acné, eczéma, psoriasis et bien d’autres – par l’intermédiaire des neuromédiateurs qui assurent une connexion permanente entre peau et cerveau.»
«Le stress est l’un des paramètres importants de l’exposome, à savoir les facteurs environnementaux comme l’alimentation, la pollution, le soleil, le tabac, l’alcool, ou encore la sédentarité. Nous n’avons pas l’âge de notre peau, ou la peau de notre âge. Il y a une horloge génétique qui nous est transmise par nos ascendants, mais il y a également ce que l’on fait de notre peau ou de notre vie. Il s’agit notamment des facteurs environnementaux qui vont modifier d’une certaine façon notre ADN.»
«Dire que ces produits n’agiront jamais est un peu radical, mais ils agiront moins bien sur une peau stressée, c’est évident. Une étude récente confirme l’impression clinique que nous avons après des injections de botox par amélioration des expressions négatives et il est important de prendre en compte cette détente d’apparence pour qu’elle induise chez les personnes anxieuses une espèce de détente physique et psychologique.»
«On ne peut pas faire de cas général, car tout ne se règle malheureusement pas avec un coup de baguette magique, mais la psychodermatologie est une aide non négligeable dans cette prise en charge. Quand on essaie de toucher du doigt les facteurs essentiels qui peuvent être des facteurs déclenchants, les patients vont arriver à appréhender les choses autrement, et ça va les aider. C’est ça notre rôle. Le but est d’amener le patient à trouver les solutions en lui donnant quelques armes. C’est l’aspect ’psy’ qui prend le dessus pour permettre au patient de changer, de débloquer, ce qui peut être à l’origine de son problème de peau. Le but de la psychodermatologie est aussi d’anticiper par l’écoute les problèmes potentiels, et cela demande forcément du temps avec chaque patient.»
«Oui, bien sûr. On parle d’ailleurs beaucoup de cosmétique sensoriel, et on voit très bien qu’il se passe des choses dans le cerveau quand on utilise une crème agréable, par exemple. Mais il est vrai qu’il important pour améliorer sa santé globale d’avoir des hormones du plaisir qui se dégagent d’une manière ou d’une autre. C’est le système immunitaire qui est impacté avec le stress ou l’anxiété, donc toutes ces choses sont très importantes. C’est sur ça qu’il faut travailler, qu’il faut agir.»
«Oui, et c’est d’ailleurs déjà le cas. On a vu revenir des gens qui ont très mal vécu le confinement avec des poussées d’acné, de rosacée, et d’autres problèmes de peau. Il y a d’ailleurs des groupes de psychologues et de psychiatres qui ont été constitués pour prendre en charge l’impact de la pandémie. Il ne faut pas négliger ce qu’il s’est passé, et c’est quelque chose qui se voit beaucoup dans notre spécialité. Les patients étaient d’ailleurs pour beaucoup soulagés de pouvoir revenir physiquement au cabinet. Ceux qui s’expriment par la peau et qui ont mal vécu cette période ont développé des problèmes de peau, de façon très claire. Et la période est propice à cela, ne serait-ce que parce que nous sommes soumis à un rythme de plus en plus effréné, une sorte d’accélération du temps. Humainement, c’est difficile à suivre, y compris pour les jeunes qui sont dans une espèce de tourbillon infernal, entre responsabilités professionnelles et familiales. Tous ces facteurs peuvent favoriser les problèmes de peau en tout genre.»
«C’est exactement ça. La peau va parler et écrire son histoire. Mais ce qu’il faut retenir c’est que la peau est un organe de communication, frontière entre l’extérieur et l’intérieur, et que les nouvelles connaissances scientifiques permettent de comprendre de mieux en mieux le lien entre peau et cerveau sur un terrain génétique et épigénétique spécifique à chaque individu.»