À quel point la «Coupe du monde de la honte» est-elle vraiment honteuse?

Ces derniers mois et années, des appels ont été lancés de partout afin de boycotter la Coupe du monde de football au Qatar. De très nombreux dignitaires se sont prononcés contre la célébration du football au Moyen-Orient, des entreprises ont retiré leur sponsoring et les supporters sont restés en masse chez eux -même le plus célèbre supporter de nos Diables Rouges, Obelgix, a déclaré forfait. Et ce alors que des villages des fans dans tout le pays sont annulés les uns après les autres en raison de ventes de billets décevantes. Pourquoi cette Coupe du monde est-elle accueillie aussi froidement?

par
Quentin Soenens
Temps de lecture 5 min.

On apprenait lundi passé que les organisateurs du village de la Coupe du monde au Nekkerhal à Malines avaient décidé d’annuler leur événement en raison de ventes de billets décevantes. Ils avaient tablé sur 2.500 à 3.000 fans par match, mais n’ont vendu en moyenne qu’à peine 200 billets par rencontre. Une semaine avant les grands débuts des Diables Rouges dans le Mondial 2022 au Qatar, le 23 novembre face au Canada, l’Union belge de football a également renoncé à son projet de village de supporters qui devait être construit à Vilvorde. Le manque d’intérêt des fans des Diables serait à l’origine de cette décision.

Dans de nombreux stades de football en Allemagne, les fans ont organisé des manifestations de protestation contre la Coupe du monde ces dernières semaines. «Boycott Qatar 2022», pouvait-on lire sur leurs banderoles. Plusieurs cafés bruxellois ont annoncé qu’ils ne retransmettraient pas la Coupe du monde dans leur établissement. De même, de nombreuses communes bruxelloises et wallonnes n’installeront pas de grands écrans lors de cette édition -comme plusieurs villes françaises, Barcelone en Espagne et Vevey en Suisse, un pays d’habitude neutre. Chez nos voisins néerlandais, les sponsors attitrés de la Koninklijke Nederlandse Voetbalbond – Albert Heijn, ING, KPN, De Nederlandse Loterij, Heineken et Bitvavo- ont décidé de ne pas se rendre au Qatar avec leurs relations d’affaires et leurs clients.

UN CO Û T HUMAIN É LEV É

Mais sur quoi portent les protestations contre la Coupe du monde 2022? C’est le coût humain qui est particulièrement visé dans toutes ces actions de protestation. D’après Human Rights Watch, celui-ci est élevé. L’ONG a enquêté ces douze dernières années sur les conditions dans lesquelles les travailleurs étrangers ont construit les nouveaux stades, hôtels et routes pour la Coupe du monde. Des milliers de travailleurs seraient décédés. Beaucoup d’entre eux travaillaient pour un salaire de misère ou n’ont pas été payés et les droits des femmes et des hommes de la communauté LGBTQIA+ n’ont pas été respectés, comme l’indiquent les rapports de Human Rights Watch.

Les exigences de la FIFA pour la Coupe du monde ont conduit à des violations des droits de l’homme. Dès le départ, les conditions de préparation du tournoi n’étaient pas les bonnes. «La FIFA n’a pas mis en place de protection des travailleurs, alors que c’est obligatoire. C’est en réalité une forme d’esclavage moderne», d’après Minky Worden, directrice Global Initiatives chez Human Rights Watch.

Ces dernières années, le Qatar a effectué un certain nombre de réformes importantes dans sa législation du travail. Mais, d’après Amnesty International, elles ont été insuffisamment appliquées et respectées, si bien que des milliers de travailleurs sont restés victimes d’exploitation. Ils prestaient encore toujours beaucoup plus d’heures que permis, étaient payés trop tard ou pas du tout et avaient difficilement accès aux tribunaux.

Des chiffres qui font froid dans le dos

Beaucoup de rumeurs circulent à propos du nombre de travailleurs étrangers décédés au Qatar lors de la construction des stades de la Coupe du monde. Le chiffre le plus couramment cité est celui paru dans The Guardian: le quotidien britannique de référence est arrivé l’année passée à la conclusion qu’au cours de la période 2010-2020 plus de 6.500 travailleurs étrangers originaires de cinq pays asiatiques ont perdu la vie au Qatar. Dans un rapport de 2021, Amnesty International parle même de 15.021 décès parmi les travailleurs étrangers.

Depuis, des vérifications menées par plusieurs médias internationaux ont nuancé ces chiffres. Dans ce cadre, il convient de noter que ni Amnesty International ni The Guardian n’ont jamais affirmé que tous ces travailleurs étrangers étaient décédés sur des chantiers de stades ou même dans le contexte de la Coupe du monde. Les deux chiffres se réfèrent aux non-Qataris de différentes nationalités et catégories professionnelles décédés au Qatar ces dix dernières années. Ils incluent non seulement des ouvriers du bâtiment peu qualifiés, du personnel de gardiennage ou des jardiniers travaillant ou pas pour des projets liés à la Coupe du monde, mais aussi des professeurs, des médecins, des ingénieurs et des hommes d’affaires étrangers.

De façon générale, on peut dire que les chiffres portant sur le nombre de travailleurs étrangers dans le cadre de la Coupe du monde varient selon la définition, comme où et quand ils sont décédés, et si leur mort peut être qualifiée ou non de «liée au travail». Compte tenu des incohérences et des lacunes dans les données officielles du Qatar, il est pratiquement impossible de brosser un tableau précis de la situation. Même si les chiffres avancés font déjà froid dans le dos.

QU’avance la Fifa?

Tant la FIFA que le comité organisateur du Qatar maintiennent que seules 3 personnes sont décédées de cause directement liée à leur travail sur des chantiers de la Coupe du monde. La définition officielle de «décès liés au travail» utilisée par la FIFA et le Qatar se réfère aux décès sur chantier pour les sept stades flambant neufs et les installations d’entraînement que le Qatar a construits ces 10 dernières années.

En étendant la définition aux «décès non liés au travail» qui ne sont pas directement liés aux travaux de construction, le Qatar reconnaît encore 37 décès, dont par exemple deux Indiens et un Égyptien qui ont perdu la vie dans un accident de la circulation lorsqu’ils rentraient de leur lieu de travail à leur lieu de résidence en novembre 2019.