Armel Job: «On est tous inconscients des traces que l’on a laissées dans notre passé»
Quand il s’agit de sonder et de percer à jour l’âme humaine, Armel Job n’a pas son pareil. Dans son dernier roman, «Un père à soi», l’Ardennais nous plonge dans la vie d’Alban, un homme à la vie ordinaire, jusqu’à ce qu’un mystérieux coup de fil vienne tout chambouler.
Au départ, Alban, mari et père de deux enfants, apparaît comme un «homme sans histoire». Jusqu’à ce mystérieux coup de téléphone…
«Alban mène une vie rangée et sereine. Un samedi, il reçoit un coup de fil d’une jeune femme qui veut le rencontrer pour lui remettre un message. Ce message vient d’une personne qu’elle a accompagnée dans ses derniers instants, Michelle. Son nom ne dit strictement rien à Alban, mais il est piqué au vif dans sa curiosité. Quand il rencontre la jeune femme, elle lui remet des photos sur lesquelles il se reconnaît, plus jeune, aux côtés d’une jeune femme qu’il a connue sous le nom de Carol. Qui est vraiment cette personne? Quand il découvre le message qu’elle voulait lui transmettre, Alban tombe des nues: elle voulait qu’il sache que, toute sa vie, elle n’avait aimé que lui.»
Finalement, même s’il pressent que ce ne sera peut-être pas pour le meilleur, Alban est heureux qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire dans sa vie…
«Ce coup de fil est étonnant, il le met dans l’embarras. Mais tout de suite, il se fait cette réflexion: enfin, il sort du marécage dans lequel il a l’impression de vivre. Cette aventure va peut-être lui réserver des mauvaises surprises, mais il va enfin se passer quelque chose. Et bien entendu, l’irruption de ce passé va apporter des bouleversements dans sa vie.»
Est-ce qu’on a tous, quelque part en nous, cette envie secrète?
«C’est quelque chose que nous espérons tous, d’une manière ou d’une autre. Mais fort heureusement, la vie se charge de nous réserver des surprises! Et c’est aussi la condition indispensable au roman: le roman, c’est toujours l’intrusion de l’inattendu dans la vie des personnages. Face à cet événement extraordinaire, ils vont être obligés de réagir et de montrer qui ils sont. Et peut-être se révéler à eux-mêmes qui ils sont. Dans ce roman, Alban se transforme totalement. Confronté à son passé, il est obligé de se redéfinir. Il est obligé de mesurer les conséquences des actes qu’il a posés. Car il s’aperçoit que ce qu’il a vécu par le passé n’est pas resté lettre morte: même s’il l’ignorait, ça a suivi son propre développement, en parallèle à sa propre vie.
Nous nous imaginons que l’on avance dans la vie par étapes, en laissant derrière nous des choses inanimées. En réalité, on laisse des graines. Elles rentrent dans le sol de la vie et donnent lieu à quelque chose qui pousse, même quand on est parti… et l’on peut toujours y être confronté un jour ou l’autre.»
C’était là le point de départ de votre roman?
«Je voulais écrire l’histoire d’un type qui a fait quelque chose dont il n’a pas du tout mesuré les conséquences. Ce n’était pas quelque chose de mal, mais ça lui a échappé. Tous, on reste inconscients des traces que l’on a laissées de notre passé et qui ont, certainement, donné lieu à des développements que nous ignorons. Nous vivons toujours comme si l’on dominait totalement notre vie. Or, je pense que chaque fois que l’on pose un acte, il peut déclencher une réaction en chaîne chez les autres, jusqu’à former un tissu entre êtres humains. Nous ne sommes pas neutres dans notre parcours au milieu des autres, et c’est cette aventure humaine qui m’intéresse. Cette idée que l’on est seul maître de tous les actes que l’on pose est archi fausse.»
Et en même temps, c’est très vertigineux de se dire que l’on n’a pas de prise sur ce qu’il se passe…
«Oui… mais c’est pourtant vrai! Mais le pire est de songer, et j’y songe parfois avec effroi, au mal que l’on a pu faire sans s’en rendre compte. Même sans mauvaise intention, on peut avoir une parole malheureuse envers quelqu’un. Quelqu’un qui va en être profondément blessé et va le porter toute sa vie. Notre relation avec les autres est extrêmement fragile.»
Globalement, vos personnages sont souvent dans une sorte de quête, à la recherche d’une connexion avec l’autre…
«Oui, c’est juste. Je suis persuadé que l’on cherche tous à établir une relation avec l’autre, une relation sincère et authentique. C’est très difficile parce que l’on est, chacun de notre côté, des êtres libres. Et dans le désir de se rapprocher des autres, quelques fois, on a tendance à penser qu’il faut accaparer l’autre. Mais cet autre résiste, car il veut rester lui-même. La relation à l’autre reste toujours difficile, et très ambiguë.»
En quelques lignes
Une belle complicité, une entreprise prospère, deux enfants à l’université: tout sourit à Alban et Lydie Jessel. Jusqu’à ce coup de téléphone d’une jeune inconnue. Sans en parler à son épouse, à qui il dit pourtant tout, Alban accepte de rencontrer la jeune femme. Elle lui explique avoir accompagné les derniers jours d’une certaine Michelle. Et exécuter sa dernière volonté: Michelle voulait qu’Alban sache, après sa mort, que sa vie durant, elle n’avait jamais aimé que lui… Cet ancien et fugace amour remonte alors des méandres de sa mémoire, et va remettre en question tout ce qu’il a, croyait-il, construit de plus solide. Dans «Un père à soi», Armel Job continue à décrypter l’âme humaine, et comment chacun avance dans la vie, avec ses contradictions et ses paradoxes. Et quand il le faut, avec ses petits arrangements avec la réalité.
«Un père à soi»,d’Armel Job, éditions Robert Laffont, 306 pages, 20€