Le romancier belge Antoine Wauters nous emmène dans son «Musée des contradictions»
Avec «Musée des contradictions», le romancier belge Antoine Wauters propose un voyage poétique en quête de sens dans un monde où l’on est toujours forcé de choisir son camp. Alors, des voix s’élèvent, assumant toutes leurs contradictions, pour porter une parole pleine d’humanité.
Pourquoi cette forme de récit en 12 discours?
Ce sont à chaque fois vos propres préoccupations que vous exprimez à travers cette galerie de personnages?
«Oui, dans chaque discours il y a toujours une part de moi. J’essaie que dans chaque texte, l’on entende ce que c’est que d’être humain aujourd’hui. On est tous, quelque part, tiraillés. On a tous beaucoup de mal à aligner nos discours et nos actes. Comme sur l’écologie, on veut être cohérents mais l’on se rend compte que c’est très difficile à tenir à notre époque. Être écolo, souvent c’est une intention, mais dans les faits ce n’est pas si simple. Cette contradiction-là, je la regarde d’un œil bienveillant, parce qu’elles sont en nous tous.»
Ce texte, c’est aussi une ode à la nuance. C’est ce dont manque notre monde d’aujourd’hui?
«Oui, absolument. Je souffre très fort, et l’on est plein à en souffrir, de cette manière de voir les choses si tranchée, si binaire, si manichéenne. L’intelligence humaine, idéalement, serait d’avoir la capacité de cheminer entre toutes ces choses, en acceptant de se contredire, de pouvoir douter, de suspendre son jugement, et aussi de pouvoir dire ‘je ne sais pas’. Écrire, c’est comme un faire un rêve magnifique. Et la nuance, on la perd dès le moment où l’on doit expliquer notre rêve: on réalise que les mots sont parfois très pauvres pour en expliquer la beauté ou l’intensité. Ce livre essaye de parler de l’intensité de nos vies sans en perdre la nuance.»
Exprimer cette nuance, n’est-ce pas justement la force de la littérature sur les autres modes d’expression?
«C’est en tout cas une possibilité pour la littérature. Et chaque heure qui passe nous en éloigne. Parce que la marche médiatique, la marche des choses, et même celle notre pensée, n’est pas du tout à la pause ou au silence. La littérature peut justement investir ces temps de pause, ces silences, ces creux. Ces moments où l’on n’est pas toujours sûr de ce que l’on avance. C’est important de le faire, et de revendiquer un droit aux vertus du silence, à sa profondeur, à sa richesse… contre la maladie de la parole.»
Tous vos personnages se débattent avec le monde actuel, mais il y a quelque chose qui les pousse à poursuivre malgré tout…
«La rage et la colère sont de très bons carburants. À partir du moment où l’on trouve des canaux pour les faire circuler, ça peut donner des choses très intéressantes. C’est aussi un thème du livre: comment ne pas se laisser meurtrir par nos rages, nos colères et par les sentiments d’injustice et d’impuissance que l’on peut forcément éprouver lorsque l’on regarde le monde actuel. (…) Aujourd’hui, on cherche des lieux de refuge ou de repli. Ces espèces d’échappées belles. C’est une vraie question: où est notre territoire? Sachant que l’on est enserré entre les rêves que l’on a en nous et la difficulté de les mettre en application. On a besoin d’un lieu où l’on peut se reconnecter à ces choses que l’on sait belles et nécessaires pour notre bonheur. Et ça passe par une reconnexion à des mots, des mots que l’on porte en nous.»
Pour chacun, et pas seulement pour l’écrivain?
«Bien sûr! Je voyais tout à l’heure, dans le tram, quelqu’un écrire un message simplement avec les suggestions de mots. C’est quand même très préoccupant. Le pouvoir de nommer les choses avec des vrais mots est un sacré défi à notre époque. Plus on a un panel de mots à disposition, et plus on parvient à les utiliser d’une façon que l’on sent juste, plus on est libres. Quand on cherche les mots qui font vraiment sens, on se libère de ce qui ne va pas. On peut commencer à renverser la vapeur. Ça rejoint l’idée du choix et de l’emprise que l’on a sur les choses pour ne plus les subir aveuglément.»
Vous plaidez à la fin pour des ministres des chemins de montagne, des ministres des rues jolies, ou encore de l’importance du songe et des mots, du pardon et de la sieste pour tous. Signe que vous restez optimiste?
«Bien sûr! Je ne sais pas si ce qui nous attend est très réjouissant. Mais on est plein à avoir envie de ça. Et j’attends le jour où un homme ou une femme politique, courageux, courageuses, viendra, non pas avec des réponses mais avec des questions. Et surtout avec des envies que ces choses-là existent, sans vouloir nous séduire ou nous prendre pour des idiots. Qu’est-ce qui est le plus difficile? De saloper le monde dans lequel on vit ou de l’embellir?»
En écrivant ce texte, aviez-vous la volonté d’en faire un ouvrage politique?
«Pas sur le moment. Mais il est évident que si, ça l’était. L’ADN du texte est d’être politique et poétique. Les deux, pour moi, marchent main dans la main. Ce sont des propositions de paix. De propositions de mises en commun, de rêves, d’orientations que l’on pourrait prendre ensemble. Mais avant cela, il faut d’abord poser les constats. Il faut entendre toutes ces voix avant d’imaginer d’autres possibles ensemble.»
En quelques lignes
«Nous rêvons de ce jour où il y aura des ministres des chemins de montagne, des ministres des rues jolies et à enjoliver, des ministres de la planche à roulette, des ministres de la sieste pour tous, des ministres du pardon et de la chaussure de trail (…) des ministres à l’écoute des sols, des eaux, du vent, des faibles et des fragilisés. Des ministres de l’importance du songe, de la musique et des mots.» Utopique? Pas pour Antoine Wauters. À travers 12 discours poétiques et incisifs, le romancier belge nous invite à redonner du sens à nos vies et à nos mots. Une ode à la contradiction et à la nuance qui s’oppose à la pensée manichéenne dominante.
«Le musée des contradictions», d’Antoine Wauters, éditions du sous-sol, 108 pages, 16€