«Mon mari», le premier roman déjanté de Maud Ventura : Jusqu’où peut-on aller par amour ?

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Quel a été pour vous le point de départ de ce récit?

«Ce sont les questions qui m’animent, me tourmentent, me passionnent: celle du couple, de la relation amoureuse, et du pourquoi cet amour passionnel des débuts se transforme en doux attachement. J’ai donc inventé cette héroïne qui aime comme au premier jour après 15 ans de vie commune.»

On peut même dire qu’elle est «folle amoureuse».

«Oui, exactement! Sur le papier, elle a une vie parfaite: mariée, deux enfants, une maison magnifique. Mais son problème, c’est qu’elle est follement amoureuse de son mari. Ça occupe toutes ses pensées. Elle glisse doucement vers la folie, dans un livre qui ressemble à un thriller psychologique. On se demande: ‘jusqu’où peut-on aller par amour’?»

Finalement, cette passion va la mettre dans un état d’angoisse permanente…

«C’est un état que l’on ressent tous, dans une certaine mesure, quand on est amoureux: on passe la journée à attendre un texto, on change cinq fois de tenue avant de voir l’autre, on est dans la peur que ses sentiments changent… C’est très angoissant d’être follement amoureux! Elle, elle est dans cet état de folie, d’angoisse et d’insécurité… mais depuis 15 ans. Avec une grosse dose de dépendance affective.»

Vu à travers elle, cette passion des premiers jours semble carrément intenable…

«Oui, mais c’est pourtant ce que l’on nous vend dans les comédies romantiques et dans l’imagerie du prince charmant. C’est beau quand l’amour dure, mais s’il dure dans cet état de passion et d’insécurité, c’est monstrueux. Et l’on n’est pas heureux.»

Votre héroïne est très à contre-courant de celles qui sont portées aujourd’hui: des femmes fortes, indépendantes…

«Ces femmes fortes, indépendantes et les discours féministes qui les portent me galvanisent et me permettent de me projeter dans d’autres modèles. Moi j’ai voulu un livre féministe qui prend le contre-pied. Prendre cette héroïne qui n’est ni libre ni indépendante, c’est montrer que cette femme-là est monstrueuse. Et par extension, que le schéma du couple hérité des années 1950 et hyper patriarcal ne rend pas heureux.»

On a l’impression que depuis ces années-là, le couple n’a pas beaucoup évolué…

«Les combats féministes ont permis de nombreuses avancées. Mais il y a des choses qui ne changent pas, notamment le couple et les attentes que l’on en a. On ne parle pas du couple en tant que lieu de domination. Les femmes sont socialisées avec l’idée que le couple c’est bien et que la «vraie vie» commence quand tu as rencontré un homme. Par exemple, je constate qu’avec toutes mes copines, pourtant féministes, on reproduit et perpétue des schémas qui datent, comme le fait de faire passer la carrière de l’homme avant la sienne.»

Comment en sortir, selon vous?

«La première étape, c’est de mettre au jour tous ces schémas: ce sont tellement des impensés que l’on ne s’en rend même pas compte. C’est de montrer que le couple, tel qu’il est conçu, peut parfois rendre malheureux parce qu’il y a des attentes exacerbées. C’est d’interroger l’amour que l’on nous vend dans lequel la femme fait tourner sa vie autour de l’homme. Ensuite, c’est de ne pas demander à une petite fille: ‘alors, est-ce que tu as un amoureux?’ Ou à une jeune femme: ‘est-ce que tu as rencontré quelqu’un?’ Comme si c’était une question plus importante que ‘est-ce que tu as des amis?’; ‘qu’est-ce que tu as fait à l’école?’; ou ‘est-ce que tu aimes ton travail?’

Moi je suis une grande amoureuse. Je ne remets pas en cause l’idée du couple. Je pense que l’on peut s’y épanouir énormément. Je crois fortement au sentiment amoureux mais je pense qu’il peut être plus beau et plus épanoui s’il est équilibré et sans attentes démesurées.»

Votre héroïne le dit: les histoires compliquées et malheureuses, on a déjà «tout écrit» dessus. C’était votre sentiment aussi?

«En effet, je n’ai jamais lu de livre sur les femmes qui ont l’impression d’être trop amoureuses. Est-ce que c’est possible de trop aimer quelqu’un? Je n’ai pas trouvé de livre sur une femme qui était triste alors qu’elle était en couple sans obstacle apparent, avec un mari fidèle et présent. Or, ce sont des situations que j’ai vécues. C’était un récit qui me manquait. Je voulais aussi montrer que ce ne sont pas les situations d’amour impossible qui rendent la passion dévorante. On peut aussi vivre une passion dévorante pour l’homme avec qui l’on vit tous les jours. Et je ne trouvais pas de livre qui racontait cette histoire.»

Il est très drôle ce roman. C’était une évidence pour vous de jouer de ce levier?

«Oui, parce que pour moi l’amour n’est pas forcément un sujet mélodramatique. C’était aussi une manière de prendre de la distance avec mon personnage, de rire de ses excès et de dédramatiser. Et puis, l’humour n’empêche de faire passer un message. Au contraire, il le rend plus accessible.»

Son mari, elle l’aime comme au premier jour, même après 15 ans de vie commune. Elle est complètement folle de lui. Tout doit toujours être absolument parfait pour lui. Cette passion dévorante est telle qu’elle vit dans un état d’angoisse permanent. Aussi, le moindre détail est analysé avec une attention démesurée. Du lundi au dimanche, elle note méthodiquement les «fautes» de son mari, les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre. Nombre de romans interrogent la complexité du sentiment amoureux. Mais dans ce face-à-face conjugal, Maud Ventura le fait comme personne. Un roman original et d’une drôlerie irrésistible, avec en prime un final inattendu. Addictif, on l’a dévoré!

«Mon mari», de Maud Ventura, éditions L’Iconoclaste, 350 pages, 19€