Georges Gilkinet : «Un voyage en train, c’est du pétrole que l’on n’achète pas à la Russie»
Alors que le plan «Vision du rail 2040» devrait être présenté vendredi au gouvernement, le ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) entend faire du train la meilleure réponse aux défis actuels, à la fois environnementaux, économiques et de mobilité.
Le plan de relance fête son premier anniversaire. Quel bilan peut-on déjà en tirer sur le volet mobilité?
«On a beaucoup trop désinvesti, délaissé le rail par le passé. Avec l’accord du gouvernement, j’ai obtenu des moyens pour inverser cette tendance, via le plan ‘Boost’ (250 millions d’investissements, ajoutés aux 365 millions € affectés au rail dans le cadre du Plan de relance européen, NDLR).
Par exemple, on investit dans les ports et dans les infrastructures de façon à faciliter le transport de marchandises. Un train de marchandises, ce sont 50 camions en moins sur la route. Un autre exemple est d’améliorer l’accessibilité des gares, notamment en uniformisant la hauteur des quais, en installant des parkings, des ascenseurs… Ensuite, on modernise et on renforce le réseau pour augmenter le nombre de trains, élargir les fréquences horaires et gagner en rapidité commerciale. Typiquement, c’est ce que l’on fait avec la finalisation du réseau S autour Bruxelles. On investit aussi dans la ligne Bruxelles-Luxembourg, pour raccourcir le temps de parcours entre les deux capitales. Le but, c’est vraiment de donner le réflexe train, avec l’objectif de faire passer progressivement, d’ici 2040, la part de déplacements en train de 8 à 15%. On est en train de révolutionner le monde du train, de faire de la mobilité ferroviaire une vraie liberté pour les gens.»
Le Bureau du Plan prévoit, lui, une diminution du nombre de voyageurs en train à l’avenir. Comment comptez-vous faire mentir ces prévisions?
«Ces prévisions ont été émises ‘à politique inchangée’. Or, le changement est en cours: on investit dans le réseau pour qu’il soit plus performant, avec des trains plus ponctuels, des temps de parcours plus courts, une augmentation du nombre de trains, l’amélioration de l’accessibilité…
On va aussi agir sur la politique tarifaire, notamment avec des abonnements domicile-lieu de travail flexibles, pour ceux qui télé-travaillent partiellement. Un autre enjeu sur le plan tarifaire, c’est d’attirer les voyageurs sur les temps de loisirs. Cela passe par une politique dynamique et des offres attractives sur les heures creuses. C’est avec tout cela que l’on va faire mentir les projections du Bureau du Plan. Dernier élément: elles ne tiennent pas compte de la hausse des prix du carburant. Or, la demande est aussi liée à l’avantage concurrentiel du train par rapport aux prix des carburants.»
Avec les prix qui grimpent en flèche, il y a des questions qui se posent. Pouvez-vous garantir que les prix des billets ne vont pas exploser?
«Il y a des réponses surtout. Et le train répond à cette hausse des prix du carburant, puisqu’il est le mode de déplacement le moins cher. Sur les tarifs, on a obtenu un statu quo jusqu’à la fin de l’année, en accordant une dotation supplémentaire à la SNCB. Avec toutes les formules que la SNCB propose (gratuité jusqu’à 12 ans, réductions diverses, formules Pass ou duo ticket, abonnement scolaire ou professionnel), le train reste le plus avantageux.
Le train est la réponse à différents enjeux. À celui du défi climatique: notre réseau est l’un des mieux électrifiés d’Europe (+90%). Cela fait du train le transport le plus écologique, puisqu’il n’y a pas d’émissions de CO2. À celui des embouteillages ensuite, dont les coûts se chiffrent en milliards dans notre pays, puisque le train permet de décongestionner les routes. Puis à l’enjeu de la sécurité routière. Et enfin, le train est le plus contributeur de la paix dans le monde: un voyage en train, c’est du pétrole que l’on n’achète pas à la Russie.
Le rail sert aussi l’économie. Un euro investi dans le rail, a un effet retour de trois euros sur notre économie. C’est un cercle vertueux: bon pour l’environnement, bon pour l’économie et bon pour l’emploi.
Evoquer des objectifs pour le rail, ça ramène à l’inévitable question des moyens pour les concrétiser…
«On a trois leviers: la dotation publique, les recettes propres, et surtout choisir un modèle qui soit le plus efficient possible d’un point de vue économique. Mais ces gains d’efficience ne se feront pas au détriment des travailleurs, que du contraire! Car plus de trains, c’est aussi plus d’accompagnateurs, de conducteurs… Et c’est pour cela que l’on cherche 2.000 personnes aujourd’hui pour rejoindre les équipes d’Infrabel et de la SNCB.
Ce qui est important, ce n’est pas seulement d’avoir des moyens, mais de les dépenser de manière intelligente. Et que cet argent puisse conduire, le plus rapidement possible, à des bénéfices pour les voyageurs. Je veille à identifier les investissements qui peuvent avoir un effet de levier, de changement rapide sur la ponctualité, les temps de trajets, le nombre de connexions… Comme c’est le cas à la gare de Nivelles. Même si tous les travaux ne sont pas encore finis, il y a désormais six liaisons horaires entre Bruxelles et Nivelles.»
C’est aussi une manière de montrer des résultats concrets aux citoyens?
«Oui, et ça, c’est très important. Sur le RER par exemple. Même s’il n’est pas fini, on a déjà atteint 80% de l’objectif en termes connexions! Et chaque année, on avance vers les 100%. Mais avec 80%, quand on habite dans un rayon de 30 km autour de Bruxelles, on a déjà minimum quatre trains par heure pour venir à Bruxelles ou en repartir. Aujourd’hui, je constate qu’il y a vraiment un enthousiasme autour du train, et une attente des citoyens. C’est pourquoi le gouvernement réinvestit maintenant pour que le service soit encore plus performant!»
Votre avenir sur les rails ?
Pour faire du train «la colonne vertébrale de la mobilité de demain», investir dans les infrastructures ne suffit pas. C’est pourquoi Infrabel et la SNCB recherchent plus de 2.000 collaborateurs cette année. «Ce sont des emplois diversifiés, au service des gens et de la mobilité. Ils demandent parfois des compétences techniques: ingénierie, entretien des caténaires, placement de rails… Ce sont aussi des métiers de relations: accompagnateurs, conducteurs, agents Sécurail… Il y a un tas d’emplois disponibles!», nous indique le ministre Gilkinet. «L’Infrabel Academy, à la gare de l’Ouest à Bruxelles, est un très beau projet. C’est un vrai campus d’apprentissage, où l’on peut se tester à la soudure, au placement de caténaires, aux fonctions de sécurité… On a besoin de jeunes. Et Infrabel et la SNCB sont deux employeurs vraiment inclusifs, tant sur la question du genre que de la diversité», poursuit Georges Gilkinet.