Comment l’ultra fast fashion parvient à convaincre les jeunes malgré son côté très polluant?
T-shirts à 5 euros, robes à 8 euros, maillots de bain pour moins de 10 euros: les marques d’ultra fast fashion repoussent les limites des petits prix en produisant toujours plus, avec en coeur de cible les 25 ans et moins.
L’anglaise Boohoo, la marque hongkongaise Emmiol ou encore la très en vogue enseigne chinoise SheIn se présentent sur le même modèle: des sociétés de vente de vêtements 100% en ligne pratiquant des prix défiant toute concurrence, souvent encore assortis de promotions.
C’est l’«ultra fast fashion»: un nombre d’articles gigantesque et de nouvelles références tous les jours, de nouvelles collections en un temps record, plus rapidement encore que les géants de la fast fashion comme H&M ou Zara.
Au risque de démultiplier des pratiques peu écologiques déjà pointées par les détracteurs de la fast fashion.
«Bon nombre de ces vêtements bon marché finissent (…) dans d’immenses décharges, brûlés sur des feux ouverts, le long des lits de rivière et rejetés dans la mer», dans des pays comme le Kenya et la Tanzanie, dénonçait l’ONG Greenpeace en avril.
Pourtant, malgré l’opacité d’un secteur qui reste extrêmement discret sur ses résultats, le succès est incontestable.
SheIn a ainsi vu ses ventes bondir de 60% en 2021, propulsant son chiffre d’affaires à 16 milliards de dollars, selon Bloomberg, talonnant H&M qui enregistrait la même année un chiffre d’affaires de 199 milliards de couronnes suédoises (19 milliards d’euros).
Lola, 18 ans, commande deux à trois fois par mois sur SheIn, pour un panier moyen d’environ 70 euros et une dizaine d’articles. Pour la jeune nancéienne, cette enseigne très populaire dans son entourage permet de suivre la tendance «sans dépenser une somme astronomique».
Les prix faibles sont au coeur du succès de ces entreprises chez les jeunes, dont le pouvoir d’achat limité conduit à «chercher la quantité plutôt que la qualité», souligne Valérie Guillard, professeur des universités à Paris-Dauphine.
Il y a aussi l’attrait d’un produit jamais porté, qui «a été fait pour vous», tandis que la seconde main, elle aussi bon marché, s’adresse davantage à un public «engagé», selon l’experte. Généralement «à prix égal, on préfère le neuf».
Pour rester incontournable chez les jeunes, la marque est omniprésente sur les réseaux sociaux. Le format des hauls – vidéos où des consommateurs déballent des colis et essayent les vêtements face caméra – a particulièrement participé à sa popularité sur TikTok, réseau plébiscité par les adolescents et jeunes adultes.
Margot, 25 ans, affirme ne pas choisir de regarder ce type de vidéos, mais elles apparaissent en quantité dans le contenu qui lui est proposé. «Cela m’a forcément donné envie au moins une fois», admet-elle.
C’est l’un des ingrédients du succès. Pour bénéficier d’une vaste exposition à moindre prix, les enseignes s’appuient sur la «micro-influence»: des partenariats avec des personnes suivies sur les réseaux sociaux par un petit nombre d’abonnés, mais qui bénéficient d’une proximité et d’une confiance plus forte de leur communauté.
Mais le revers des prix bas, ce sont ces scandales sociaux ou environnementaux dont les marques se seraient bien passées, et qui douchent l’enthousiasme de certains clients.
L’ONG suisse Public Eye a ainsi constaté, dans une enquête publiée en novembre, que des employés d’usines en Chine sous-traitées par SheIn travaillaient jusqu’à 75 heures par semaine, rythme illégal dans le pays.
La mode éphémère, troisième secteur le plus consommateur d’eau, serait aussi responsable chaque année de 2% des émissions globales de gaz à effet de serre, autant que le transport aérien international et le trafic maritime réunis, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe).
L’égérie du mouvement des jeunes pour le climat, Greta Thunberg, s’en est alarmée, dénonçant l’an dernier sur Instagram un secteur qui «contribue énormément à l’urgence climatique et écologique».
Charlotte, 14 ans, a choisi d’arrêter les commandes SheIn et Emmiol. «Sur le moment, j’étais heureuse d’avoir de nouveaux vêtements mais ensuite, je culpabilisais», explique-t-elle.
L’adolescente admet être encore tentée. Mais désormais, «quand je vois de jolies choses sur SheIn, je les cherche sur Vinted», un site de vente de vêtements de seconde main, affirme-t-elle.