«Ça fait deux ans que je sors la boule au ventre»: le désarroi des personnes obèses face à la Covid
Isolées, craignant d’être davantage stigmatisées, et avec un plus fort risque de se retrouver en réanimation si elles sont infectées par le coronavirus: les personnes obèses subissent douloureusement les effets de la pandémie de Covid-19.
«Ça fait deux ans que je sors la boule au ventre et ça commence à peser». Avec humour mais non sans gravité, Catherine Fabre raconte sa vie sous cloche depuis bientôt deux ans.
Cette habitante de Lançon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), âgée de 55 ans, a été opérée en 2011 d’une sleeve (technique consistant à retirer une partie de l’estomac). Mais malgré la chirurgie, «(elle) reste en obésité». En février 2020, elle est avec son mari en Italie, au moment où la pandémie commence à déferler sur l’Europe. Ils fêtent leur anniversaire de mariage au carnaval de Venise. «C’était un dimanche. Tout s’est arrêté brusquement, on est rentré en catastrophe».
La vie depuis s’apparente à un confinement sans fin pour cette fonctionnaire aux impôts, en télétravail. «On a beaucoup de stress, un sentiment d’isolement. On n’a plus de vie sociale».
Membre du conseil d’administration de la Ligue contre l’obésité, Catherine Fabre a fondé en 2013 l’association Histoire de poids, qui accompagne les personnes obèses, à travers le sport ou des conseils de nutrition. Là encore, «le contact a été perdu avec certains adhérents, beaucoup ont baissé les bras».
Psychologue à Nancy, spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, Alexandra Tubiana explique que «les personnes obèses ont eu très peur; on est arrivé à des stress dépassés, qui aggravent les problèmes alimentaires». S’est aussi ajoutée «l’inquiétude de mourir».
Sur son site internet, le ministère de la Santé rappelle que «le lien est avéré entre obésité et risque de complications Covid-19, en raison des pathologies associées mais également indépendamment de celles-ci».
«Hier, dans mon service, un homme né en 1981 est décédé du Covid au bout de plusieurs jours de réanimation. Son seul antécédent était un surpoids», témoigne le Dr Alexandre Cortes, chef du service chirurgie viscérale et digestive du Grand Hôpital de l’Est Francilien (GHEF, Seine-et-Marne). «Si vous regardez qui est mort du Covid, on a beaucoup focalisé sur les sujets âgés mais, globalement, les gens qui occupaient les réas étaient des malades obèses», assure ce spécialiste.
D’après le ministère de la Santé, «les données issues des études successivement conduites ont confirmé les résultats que recueillaient dès avril 2020 les équipes du CHRU de Lille: plus de 47% des patients infectés entrant en réanimation sont en situation d’obésité».
Ce constat est conforté par une étude récente menée en Angleterre et publiée en juin 2021 dans la revue The Lancet sur «les liens entre indice de masse corporelle (IMC) et les formes sévères de la Covid-19» («Associations between body-mass index and COVID-19 severity»). «L’aggravation du risque santé n’est pas seulement physique (respiratoire, réanimatoire) mais aussi mental et sociétal», insiste pour sa part Alexandra Tubiana, qui craint que «la stigmatisation, associée à la culpabilité d’être trop gros, participe à la grossophobie ambiante».
Selon l’enquête épidémiologique nationale Obépi-Roche, publiée en juin 2020, une personne sur deux est en surpoids ou obèse en France, rappelle Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO). Elle s’alarme du retard pris dans le suivi de l’obésité, une pathologie dont elle voudrait que la France fasse une grande cause nationale: «Les obèses sont les premiers à être déprogrammés (pour leurs opérations de chirurgie bariatrique). Si on ajoute la peur du patient de sortir pour aller consulter, c’est une énorme bombe à retardement».
Catherine Fabre devait être réopérée le 8 décembre dernier. «Le matin où je devais entrer à l’hôpital, on m’a appelée pour m’informer que l’intervention était repoussée. Je le comprends mais sur le moment, ça a été très dur à vivre».