Des bureaux restent ouverts la nuit pour accueillir les sans-abri

Pour les employés, c’est une salle de réunion. Pour Fortune, le soir venu, c’est un confortable salon. Cet ancien sans abri y a trouvé refuge via les Bureaux du cœur, une association nantaise qui permet aux plus précaires de passer la nuit dans des locaux d’entreprise.

par
AFP
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Fortune, 39 ans, fait volontiers visiter ses trente-cinq mètres carrés: ici, la salle de réunion transformée en salon, équipée d’une télévision. Là, un petit espace chambre, dissimulé en journée par un rideau. Enfin, la salle de douche et la kitchenette, aménagées dans les toilettes.

À partir de 17h30 et jusqu’au lendemain matin, il peut fermer la porte coulissante qui sépare son espace de vie du reste des bureaux de Nobilito, une agence de communication installée sur l’île de Nantes, et profiter de sa tranquillité.

Après des études de mode et des débuts de costumier, Fortune était «tombé dans la galère». Depuis qu’il a un toit au-dessus la tête, il s’imagine de nouveau construire une carrière. «Quand on passe la journée à se demander où l’on passera la nuit, c’est impossible de faire des projets, de trouver une stabilité. Ici, je peux me poser, réfléchir», explique Fortune, assis sur son canapé-lit.

Comme lui, 38 personnes sont hébergées pour trois mois renouvelables via les Bureaux du cœur, à Nantes mais aussi au Mans, à Annecy, à Montpellier et dans l’Essonne.

«Ce projet s’adresse aux travailleurs pauvres, aux étudiants en situation de grande précarité, aux demandeurs d’asile, aux réfugiés, aux femmes victimes de violences qui ont dû fuir leur domicile», énumère Pierre-Yves Loaëc, fondateur des Bureaux du cœur et patron de Nobilito. D’ici quatre ans, il espère convaincre 1.500 entreprises et s’établir dans 150 communes françaises, «métropoles comme villes moyennes».

«Entre deux»

Avant d’être hébergé via les Bureaux du cœur, Éric, réfugié congolais, voyait chaque mois son RSA absorbé en quasi-intégralité par des locations courte durée. «Après avoir payé pour mon appartement, il me restait 50 euros pour vivre. Maintenant je peux acheter à manger, payer ma facture de téléphone», explique le jeune homme de 30 ans.

Il vit depuis deux mois dans les locaux nantais d’Agile RH. À la recherche d’un emploi dans le secteur de l’informatique, il espère une fois embauché pouvoir bénéficier d’un logement social. «Ici c’est mieux, mais c’est un entre-deux», ajoute Éric.

Installée dans un ancien appartement, l’entreprise disposait déjà d’une cuisine équipée et d’une salle de bain. «Nous avions toute l’infrastructure pour héberger quelqu’un dignement. Les belles paroles et les dons ont leur limite, cette fois il s’agissait d’agir concrètement», raconte Simon Rabouille, directeur associé d’Agile RH, dont Éric est le second «invité».

À la nuit tombée, une fois le canapé-lit déplié, l’une des deux salles de réunion devient une chambre. En cas de rendez-vous tardif, les employés sont priés de prévenir Éric.

Côté hébergés, l’offre des Bureaux du cœur est soumise à des conditions strictes. «Les personnes doivent être majeures, n’avoir ni problème d’addiction ni traitement médical lourd, habiter seules, et s’engager à respecter les horaires de l’entreprise», détaille Vanina Thiriet, déléguée hôtes des Bureaux du cœur.

«On ne va pas régler le problème du mal logement en France», reconnaît Pierre-Yves Loaëc. «Mais on peut y contribuer.»

Une fois les critères validés, la mise en relation entre «hôte» et «invité», se fait via des associations d’aide à la réinsertion.

«Nous, entrepreneurs, ne sommes pas formés à l’accompagnement des personnes», souligne Pierre-Yves Loaëc, qui revendique toutefois une «forte ambition sociale». Outre un lieu d’hébergement, l’entreprise accueillante est selon lui une opportunité pour l’invité de fréquenter des employés «insérés» à même de leur prodiguer des conseils professionnels. Avec l’aide de Nobilito, Fortune a donné un coup de jeune à son CV. Éric, lui, s’est vu expliquer comment naviguer sur le marché du travail français.