La crise de santé mentale liée au coronavirus est une «bombe à retardement», prévient le CSS
La santé mentale, si elle n’est pas prise en charge correctement, est une bombe à retardement, met en garde le Conseil supérieur de la Santé (CSS), vendredi, dans un avis qui fait le point sur deux ans de crise du coronavirus. L’organe d’avis scientifique du SPF Santé publique appelle le monde politique à investir durablement dans la santé mentale car, une fois l’urgence sanitaire dépassée, les difficultés psychiques persisteront.
La population se montre plutôt résiliente face à la pandémie, salue le groupe de travail multidisciplinaire du CSS, qui regroupe des expertises en psychologie, psychiatrie, pédopsychiatrie, médecine du travail, sociologie et virologie. Toutefois, ce qui n’allait pas avant la Covid-19 ne va pas mieux et les disparités en matière de santé mentale se sont creusées pour certains groupes plus vulnérables.
Les jeunes, les personnes travaillant dans les soins de santé, l’enseignement ou la culture – des secteurs où le rythme d’activité s’est emballé ou, à l’inverse, éteint–, les sans-abri, les individus en demande d’asile, les malades chroniques ou encore les personnes en situation de pauvreté méritent une attention particulière, note le CSS.
Offre de soins difficile
Pourtant, l’offre de soins en santé mentale reste difficile d’accès par manque de places d’accueil, en raison d’inégalités «géographiques» ou d’une communication peu claire. Résultat, «ce ne sont pas toujours les individus qui en ont le plus besoin qui y font appel», remarque Olivier Luminet, psychologue de la santé à l’UCLouvain et membre du groupe de travail national sur la santé mentale du CSS.
Comment remédier à ce constat? Collectivement d’une part, en menant des actions de prévention et sensibilisation à grande échelle dans les écoles et sur les lieux de travail; et de manière plus ciblée d’autre part, grâce à un suivi individuel pour les cas plus sévères, explique M. Luminet.
Pour ce deuxième point, il est nécessaire d’instaurer des protocoles de triage afin d’identifier de manière proactive les personnes fragilisées et de mieux les orienter après un premier entretien. «Or, cela n’existe pas encore. Actuellement, le réflexe reste d’appeler soi-même pour prendre un rendez-vous privé lorsqu’on ne va pas bien», souligne le psychologue.
Dix étapes
Au total, le CSS liste 10 étapes «vers une nouvelle normalité». De manière générale, la santé mentale doit faire partie intégrante de la stratégie de santé publique, notamment en suivant mieux certains indicateurs comme l’alcoolisme et la violence domestique.
Outre une communication plus positive, le Conseil préconise aux ministres de la Santé du pays de promouvoir la protection sociale et de reconnaître le rôle du (retour au) travail.
Il conseille également de reconnaître le deuil plutôt que de le médicaliser. «La perte et le chagrin sont des aspects normaux du processus d’adaptation. Ils ne doivent pas être problématisés», explique le CSS. Il faut ensuite donner aux gens la possibilité de commémorer leur perte avec leurs proches, alors que de nombreuses personnes ont dû dire adieu dans des circonstances exceptionnelles pendant les confinements.
Le Conseil demande par ailleurs «une valorisation adéquate» du secteur des soins et une attention particulière pour les soignants de première ligne, soumis à un stress et une charge mentale importants.
Enfin, il faut se préparer à d’éventuelles prochaines vagues, ou à une nouvelle pandémie. Pour ce faire, il est nécessaire d’évaluer et encadrer les mesures prises «pour ne pas constamment tout réinventer en situation de crise». «Ce fameux besoin de prévisibilité» souligné par nombre de secteurs touchés par les mesures sanitaires et la population en général «n’est pas angoissant, au contraire», insiste Olivier Luminet. «Être préparé et savoir à quoi s’en tenir est rassurant.»
Le CSS sera-t-il entendu? M. Luminet se dit «modérément optimiste». «Des budgets ont été votés, des engagements ont été pris» dans la foulée d’avis rendus précédemment par le Conseil, «mais ces investissements doivent être étendus». De plus, «les politiques ont tendance à abandonner leurs efforts lorsque la situation semble s’améliorer». Mais le temps de l’épidémie n’est pas celui de la santé mentale. Ainsi, les consultations psy n’ont explosé qu’en mars 2021, soit un an après l’arrivée du virus en Belgique. Paradoxalement, la courbe des suicides s’est en outre inclinée en situation de crise, pour remonter quand la pandémie a relâché son étreinte. «Certaines personnes vulnérables se sont en effet retrouvées moins entourées» qu’au plus fort de la crise, note le psychologue.
«Il n’est jamais trop tard pour la prévention» et chaque euro investi dans la santé mentale crée aussi de la croissance, conclut-il.