Le milieu médical confronté à «l’explosion» du chemsex, l’alliage de drogues et de sexe

Le premier confinement a entraîné une «bascule du phénomène».

par
AFP
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Le chemsex, alliance de consommation de drogue à des fins de sexualité, explose en France selon les addictologues, qui s’inquiètent des ravages de ces pratiques dans la population gay.

Pendant le confinement, «des gens qui faisaient déjà du chemsex ont pour beaucoup aggravé leurs pratiques dans un contexte d’anxiété, de solitude, de fermeture. Des gens qui peut-être n’en faisaient pas l’ont découvert: il n’y avait plus que des lieux de rencontre privée», explique à l’AFP Hélène Donnadieu, responsable du département d’addictologie du CHU de Montpellier.

Depuis, «il y a beaucoup de besoins, et ça s’est accentué ces derniers mois», alerte le psychiatre nantais Benoît Schreck, qui a vu depuis «la moitié de l’année 2020» un accroissement des demandes de prise en charge au CHU de Nantes. Soit «entre une et trois» nouvelles par semaine, indique l’addictologue à l’AFP.

Le chemsex «s’est largement diffusé» hors de Paris, où il est apparu à la fin des années 2000, expliquait en novembre Dorian Cessa, coordinateur principal d’une l’étude à laquelle ont participé environ 1.200 pratiquants, dont «un quart ne vit pas dans les métropoles». «Depuis cinq ans, ça ne va qu’en augmentant. Que ce phénomène se diffuse en dehors des grandes villes, c’est une évidence», abonde le Dr Donnadieu, pour qui un «effet tache d’huile dans les usages de drogues est ultra classique quand une nouvelle drogue arrive».

Internet et Covid

Il s’agit des cathinones de synthèse, notamment de la plus populaire d’entre elles, la 3MMC, dont la «diffusion beaucoup plus importante participe aussi à cette explosion de la pratique du chemsex» chez les hommes ayant des rapports avec d’autres hommes (HSH), estime le Dr Schreck.

Les professionnels de santé soulignent aussi l’impact des applications comme Grindr, qui en remplaçant les rencontres dans les bars gay, ont enlevé du lien social et favorisé l’isolement, comme la crise sanitaire, qui a «créé une bascule», estime le Dr Donnadieu. Le confinement n’a pas arrêté les trafics, avec des produits de plus en plus faciles à acquérir sur internet. «La grande majorité des patients ont toujours reçu leurs substances par colis», souligne le Dr Schreck.

Depuis, l’amélioration de la situation sanitaire n’a pas entraîné d’accalmie dans ce phénomène aux conséquences psycho-sociales et sanitaires potentiellement dramatiques: à Montpellier, le Dr Donnadieu recense ainsi en 18 mois au moins six cas de suicides d’hommes en prise avec un «chemsex extrêmement problématique».

«Les associations se font toujours interpeller de la même manière», dit Anne Souyris, l’adjointe (EELV) à la santé de la mairie de Paris qui met en place un plan pour que centres d’addictologie, de santé sexuelle, associations LGBT, hôpitaux et police se parlent mieux sur le sujet. Pour son collègue Jean-Luc Romero-Michel, adjoint aux droits humains dont le mari est mort dans une session de chemsex, la «police est démunie» face au phénomène et les pratiquants «n’appellent pas la police par peur de se retrouver devant des tribunaux».

Besoin de personnel formé

En Occitanie, le Dr Donnadieu veut «former un réseau» de soignants, en lien avec les associations communautaires, afin qu’ils «soient à l’aise» sur le sujet. Au CHU de Nantes, même si un partenariat entre l’association Aides et les départements d’infectiologie et d’addictologie s’est noué, la coordination «pèche un peu pour l’instant», juge le Dr Schreck qui dit manquer de psychologues et d’infirmiers formés. Le 190, centre de santé sexuelle parisien, reste pour lui un «modèle».

«Les choses sont en train de se mettre en place», estime Anne Batisse, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris, pour qui le chemsex a permis de «réunir» les réseaux de santé sexuelle et ceux d’addictologie. Outre la «meilleure connaissance globale de la problématique», il y a désormais une «meilleure prise en charge et un repérage plus précoce», positive-t-elle.

Retardée par la crise sanitaire, une mission commandée par le ministre de la Santé Olivier Véran au Pr Amine Benyamina, et à laquelle ont contribué les Dr Donnadieu et Schreck, doit rendre ses résultats prochainement.