Le vaccino-scepticisme aussi vieux que le vaccin: «Cela a toujours existé»
Pasteur lui-même avait été traité d’«apprenti sorcier»: le «vaccino-scepticisme» est aussi ancien que la vaccination elle-même, rappelle Laurent-Henri Vignaud, auteur de «Antivax», ouvrage qui retrace les deux siècles du mouvement.
«Cela a toujours existé», souligne M. Vignaud, historien des sciences à l’Université de Bourgogne, à Dijon, qui a publié «Antivax» avec Françoise Salvadori (Vendémiaire Editions).
Ainsi, le médecin anglais Edward Jenner, considéré comme le père de la vaccination, suscite la controverse quand, en 1796, il inocule à un homme la vaccine, une maladie bovine proche de la variole mais nettement moins grave. L’immunisation réussit «mais des médecins l’assurent: transmettre du sang de vache va vous transformer en vache», raconte l’historien.
Le débat reste «strictement médical» avant que, en 1853, une loi anglaise impose la vaccination contre la variole aux enfants de familles sous assistance publique: en cas de refus, elles n’auront plus droit aux aides sociales.
Contre ce «chantage», «l’opposition devient politique» et des manifestations s’organisent, dont la plus importante réunit à Leicester, en 1885, 100.000 personnes.
Ces premiers «antivax» de l’Histoire auront gain de cause: en 1906-07, une loi anglaise étend l’obligation vaccinale mais permet à chacun d’en être exempté en signant une clause de conscience, ce qui est d’ailleurs toujours en vigueur au Royaume-Uni.
D’autres manifestations auront lieu en Europe et en Amérique mais rarement en France car la loi de 1902 portant obligation vaccinale n’est guère appliquée. «Le contrôle est confié aux maires, peu favorables à l’idée d’aller mettre des amendes à leurs citoyens. Quant à l’obligation de vaccination dans les écoles, les instituteurs ne se voient pas en policiers», comme, plus tard, certains restaurateurs…
En revanche, l’opposition du monde médical sera vive quand Pasteur invente le vaccin contre la rage en 1885. «Il est très mal accueilli et considéré comme un apprenti sorcier», explique M. Vignaud.
Mais Pasteur «démontre qu’il est possible de fabriquer d’autres vaccins», en particulier contre la typhoïde, largement utilisé lors de la Première Guerre mondiale, face à une «opposition marginale».
Puis, dans les années 1950-60, «l’enthousiasme scientiste fait qu’on vaccine massivement», notamment contre la polio.
Le «basculement de l’opinion interviendra à la fin des années 1960» avec la multiplication de procès aux États-Unis contre les effets secondaires des vaccins. En 1986, on dresse alors une liste d’effets secondaires pour lesquels des victimes seront indemnisées. Pour la première fois, on admet que des vaccins peuvent nuire: «ça rend le doute légitime», raconte l’historien.
C’est le même doute qui s’installe en France à la fin des années 1990: la vaccination systématique des adolescents contre l’hépatite B est alors lancée avant d’être vite suspendue suite à un rapport craignant un lien avec des cas de sclérose en plaques, ce qui n’a jamais été confirmé.
Le scepticisme s’accentue encore quand, en 1998 au Royaume-Uni, un chercheur en médecine, Andrew Wakefield, publie une étude frauduleuse faisant croire à un lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme. «Le nombre de vaccinations chute en quelques mois à zéro», selon M. Vignaud.
De ce fait, même si «le groupe des vrais antivax ne grossit pas, on a de plus en plus de vaccino-sceptiques qui se disent: le vaccin, je ne sais pas si ça marche, ni si j’en ai vraiment besoin».
Car, à la même époque, les injections se multiplient contre des maladies souvent jugées bénignes: les oreillons, la varicelle… «On commence à tiquer contre cette surenchère vaccinale».
En France, en 2009, la «fausse pandémie» de grippe A (H1N1) ajoute une dimension plus politique. Suite à une alerte de l’OMS sur une dangereuse vague à venir, qui s’avèrera exagérée, le gouvernement commande massivement des vaccins. Mais l’épidémie ne se concrétise pas. Face à cette «précaution pour rien», l’opinion publique pointe une «collusion entre autorités et lobby pharmaceutique dans un mouvement anti-Big Pharma».
Le vaccino-scepticisme, depuis lors, devient avant tout une «défiance» envers l’État.
«Quand les Français disent non au vaccin dans les sondages, ils disent en fait non aux politiques». C’est cette «spécificité française» qui place l’Hexagone numéro un des pays vaccino-sceptiques, selon les dernières enquêtes.
D’ailleurs, «les sondages montrent que les vaccino-sceptiques sont majoritairement abstentionnistes: ils ne croient pas en la politique», rappelle M. Vignaud.