Les jeunes s’engagent dans le bénévolat, un des seuls rares effets de la Covid-19
Dans les rues huppées du centre de Paris samedi dernier, une nuée de jeunes gens au secours des SDF: rare «effet positif» de la pandémie, les jeunes sont de plus en nombreux à s’engager auprès des populations précaires, constatent des associations nationales.
«Il y a un vrai élan de solidarité» depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en France, notamment des jeunes, se réjouit un homme sans domicile fixe touillant son café à quelques pas de l’Hôtel de ville.
À ses côtés, lui ayant servi une salutaire boisson chaude en ce mois d’avril encore frisquet, une «bande d’amis très proches» originaires de Colombes et Puteaux (Hauts-de-Seine) font une rapide évaluation des produits qu’ils ont collectés ou achetés pour leur maraude bimensuelle: denrées alimentaires, thermos, produits d’hygiène, vêtements…
Charriant de lourds sacs dans les rues parisiennes, cette vingtaine de jeunes bénévoles racontent le choc de l’épidémie qui les a incités à agir. «Pendant le premier confinement, les rares fois où je sortais dans la rue, les seules personnes que je voyais, c’étaient des SDF. On les voyait encore plus», se souvient Karl Ghanem, ingénieur de 25 ans et fondateur de l’association Tous Solid’R.
«Les rues étaient vides, ils ont dû se sentir encore plus isolés», renchérit Afif, étudiant du même âge. Pendant le premier confinement, Aboubakar Sissoko, 25 ans, animateur à Courbevoie et sur des terrains de foot et de hand le reste du temps, a eu soudainement «du temps libre» avec la fermeture des clubs: «c’était le moment de se lancer».
Et à 26 ans, Yosra Mokhtari, effarée, a vu affluer les SDF aux urgences de l’hôpital où elle travaille comme infirmière. Cette précarité, ils l’ont constatée dans les rues, à l’hôpital mais aussi dans les universités, comme Mona-Lisa Assad, étudiante, qui a vu ses camarades «faire la queue pour se nourrir». «Ça m’a crevé le cœur», dit-elle.
«Depuis quelques années, les jeunes représentent déjà la part de la population qui s’engage le plus», rappelle Caroline Soubie, responsable du département Engagement de la Croix-Rouge mais «la crise n’a fait que renforcer leur envie d’agir».
Les associations interrogées par l’AFP sont unanimes: depuis la crise migratoire et les attentats de l’année 2015, elles constatent des vagues d’engagement à laquelle se joignent bien volontiers les jeunes. Mais loin d’un «effet de pic», l’engagement des jeunes pendant la crise sanitaire «perdure», se félicite Etienne Mangeard, directeur du service bénévolat de l’Armée du Salut.
Avant le Covid-19, 28% des bénévoles de cette structure avaient moins de 30 ans, un ratio monté à 40% en 2020 et qui se maintient à 35% en 2021. Les très jeunes générations, «des mineurs de 15 ou 16 ans» viennent même taper à la porte des associations. Un phénomène «un peu nouveau. Ça existait (avant) mais je trouve que la proportion augmente», s’étonne M. Mangeard.
Ce mouvement est «puissant» pour Jacques Malet, président de Recherches et Solidarités, réseau d’experts et d’universitaires étudiant le milieu associatif. D’autant que ces chiffres sont sous-estimés, nombre de jeunes préférant les associations informelles, non comptabilisées par les études, note l’ancien magistrat. «Ça traverse toute la France et toutes les couches sociales», estime aussi Isabelle Persoz, présidente de la plateforme Tous bénévoles, dont 30% des inscrits ont moins de 25 ans.
Ces bénévoles, «disponibles le soir, le week-end et qui ont une sensibilité différente» permettent de combler des vides en termes d’activités, notamment dans certaines zones géographiques dépourvues de groupes de bénévoles avant la pandémie, remarque Emmanuel Curis, responsable bénévolat jeunes au Secours Catholique.
Une véritable «bouffée d’oxygène» au sein d’équipes souvent épuisées par la crise sanitaire, abonde Claude Bougère, responsable du bénévolat aux Restos du cœur. Au début de la pandémie, les associations à caractère social ont perdu 40% de leurs effectifs de bénévoles, souvent âgés et réticents à s’exposer au virus, chiffre Jacques Malet.
Les jeunes, «à l’aise avec le numérique», ont permis d’étoffer l’offre de «télé-bénévolat»: communication, comptabilité, réflexion, recherches et financement, soutien de bénéficiaires à distance, note encore le président.
Ce rajeunissement réjouit Isabelle Persoz qui se souvient qu’il y a dix ans, les associations «rêvaient de retraités» qu’elles pensaient plus disponibles et rechignaient à accueillir des jeunes, «jugés pas fiables». «Si on peut tirer quelque chose de positif (de cette pandémie), c’est la vraie solidarité intergénérationnelle qui s’est mise en place», conclut Etienne Mangeard.