Les USA déclarent la guerre au «stealthing», le retrait non-consenti du préservatif
«A un moment mon coeur a flanché, car j’ai réalisé qu’il n’avait plus son préservatif»: en 2020, Brooke* est victime de «stealthing» pendant une relation sexuelle.
«Déprimée», «inquiète» de tomber enceinte ou de contracter une infection, elle s’interroge: «Ai-je été agressée?»
Le stealthing, terme récent, désigne le retrait non consenti d’un préservatif. En Amérique, la lutte contre cette pratique longtemps taboue se renforce, marquée par une victoire majeure début octobre en Californie, devenu le premier Etat américain à l’interdire.
Brooke, 28 ans à l’époque et étudiante dans le Tennessee, se sent «comme si (elle) avait été violée», mais trouve des informations contradictoires sur internet, «jusqu’à apprendre enfin que ça peut être considéré comme une forme d’agression».
Cette expérience laisse des séquelles: il lui faudra du temps pour ne plus être «très stressée pendant les relations sexuelles, toujours en train de vérifier que le préservatif est encore là». Mais «pouvoir l’envisager comme une agression vous aide à digérer cela, à l’accepter, et à comprendre que la victime n’est pas en tort», dit-elle.
Des élues militent pour que le stealthing soit clairement interdit par la loi, ce qui permettrait aux victimes de porter plainte. Parmi elles, Cristina Garcia, élue à l’origine de la loi californienne, dit avoir été inspirée par son expérience personnelle. «Des hommes ont essayé, et je les ai pris sur le fait alors qu’ils tentaient d’enlever leur préservatif», explique-t-elle, considérant avoir eu la «chance» de pouvoir les arrêter.
Réaliser «l’ampleur» du phénomène et en découvrir l’existence de «communautés en ligne» recensant des conseils sur la façon de duper son partenaire sexuel, la convainquent de l’importance de cette loi, qu’elle tente de faire adopter pour la première fois en 2017.
Ce nouveau texte prévoit la possibilité de dommages-intérêts pour les victimes, éventuellement alourdis d’une pénalité financière dissuasive décidée par le juge, sans mentionner de peine de prison.
Si Cristina Garcia a finalement réussi son pari, d’autres élues ont tenté d’imposer des textes similaires, sans succès. Pour Melissa Agard, démocrate du Wisconsin qui y avait proposé une loi en 2017, le fait que les tenants du pouvoir législatif soient souvent des hommes les rend plus susceptibles de «balayer ce problème».
Par ailleurs, «je pense que c’est difficile pour eux d’entendre ces conversations, ça les met mal à l’aise», dit-elle.
Cristina Garcia souligne le rôle de la série britannique «I May Destroy You», sortie en 2020, qui a aidé le public à «comprendre et croire le traumatisme» causé par cet acte et l’a rendu «plus grand public». Le personnage principal, Arabella (Michaela Coel), y est victime de stealthing, une des rares représentations de cet acte dans la culture populaire.
Les femmes, mais aussi les hommes gays, sont concernés. Reste que l’étendue du phénomène est difficile à déterminer, car peu de recherches ont été conduites sur la question. Dans une étude publiée en 2019 aux Etats-Unis, 12% des femmes interrogées (âgées de 21 à 30 ans) assuraient avoir été victimes de stealthing.
Pour Carolyn Maloney, élue à la Chambre des représentants qui défend l’idée d’une loi nationale, l’action fédérale doit commencer par «la recherche de faits et de données» afin d’informer les parlementaires «sur les dangers et la prévalence» du stealthing.
Sherry Colb, professeure de droit à l’université Cornell, pense que le stealthing pourrait déjà correspondre à la définition d’une agression sexuelle dans certains Etats américains (ceux dans lesquels il n’est pas nécessaire que la «force» ait été exercée) car la personne a consenti à «quelque chose de différent de ce qu’il se passe». «C’est comme si quelqu’un acceptait de recevoir un vaccin avec une seringue stérile, et au dernier moment, le docteur y substitue une seringue sale», compare-t-elle.
La professeure salue l’existence de lois punissant cet acte, mais n’est pas certaine de leur efficacité, notamment car le mis en cause pourrait dire «que le préservatif a glissé, ou qu’elle était d’accord».
Sherry Colb craint par ailleurs qu’un jury, à cause «d’un schéma de pensée très sexiste», accorde moins de crédit à la parole de la victime, car elle a, au départ, consenti à l’acte sexuel.
* le prénom a été modifié