Pourra-t-on bientôt créer des embryons de synthèse? La perspective se précise

Créer des embryons de synthèse, à partir de simples cellules et sans aucune fécondation. On en est encore loin mais des chercheurs viennent de se rapprocher de cet objectif, porteur de grandes promesses scientifiques comme de lourdes controverses éthiques.

par
Etx Daily Up Studio
Temps de lecture 4 min.

«Des embryons de synthèse se sont constitués par eux-mêmes jusqu’à un stade avancé, à partir de cellules-souches placées ex utero», résume ce travail publié cette semaine dans Cell, l’une des plus grandes revues scientifiques en matière de biologie.

Menée sur des souris dans un laboratoire israélien, sous la direction du Palestinien Jacob Hanna, l’expérience a abouti à une réussite sans précédent dans un champ de recherche apparu voici quelques années.

Il s’agit de développer en laboratoire des structures proches de l’embryon, en prélevant de simples cellules sur un animal, puis en agissant sur elles sans aucune procédure de fécondation.

La principale avancée remontait jusqu’alors à 2018. Des chercheurs, emmenés par le Français Nicolas Rivron, étaient parvenus à ce que des cellules-souches se développent en un ensemble proche d’un embryon très peu avancé, un «blastocyste».

Mais, à ce stade, les cellules de l’embryon ne se sont pas différenciées et sont indiscernables de ce qui constituera le futur placenta.

L’équipe de Jacob Hanna est allée plus loin. Elle a développé des structures semblables à un embryon de souris de huit jours, soit un tiers de la gestation, et à un moment où les organes commencent à se différencier.

Des «ébauches» d’organes

Pour ce faire, les chercheurs ont prélevé des cellules de la peau des souris, puis les ont fait revenir artificiellement à l’état de cellules-souches, capables de se différencier à nouveau pour constituer des organes différents.

Ils les ont placées dans un bain de nutriments, agité en permanence et alimenté en oxygène afin de reproduire autant que possible les conditions d’un utérus maternel.

Résultat: dans une petite part de ces dispositifs, les cellules se sont organisées par elles-mêmes, à partir de l’information qu’elles contenaient, pour former des organes naissants.

C’est une avancée jamais vue, même s’il ne faut pas non plus y voir le secret de la vie artificielle. Dans la plupart des cas, l’expérience n’a rien donné et, même quand elle a réussi, le résultat était un ensemble trop mal constitué pour le confondre avec un réel embryon.

Certains scientifiques se montrent, d’ailleurs, mal à l’aise avec l’expression «embryon de synthèse».

«Ce ne sont pas des embryons», tranche auprès de l’AFP le chercheur français Laurent David, spécialiste du développement des cellules-souches. «Jusqu’à preuve du contraire, ils ne donnent pas un individu viable et capable de se reproduire.»

Le chercheur, qui préfère parler d’embryoïdes, souligne notamment qu’ils ne présentent que des «ébauches» d’organes.

Il salue toutefois un travail «nouveau» et «très convaincant», qui offre le potentiel de mener des expériences sur ces simili-embryons pour mieux comprendre comment les organes se développent.

Un espoir pour la greffe?

De telles expériences sont cruciales pour parvenir, un jour, à cultiver des cellules-souches pour former des membres qui seraient ensuite destinés à être greffés sans nécessiter d’en prélever sur un donneur.

Ce n’est plus seulement une possibilité théorique: des chercheurs ont réussi voici plusieurs années à développer ainsi en laboratoire un intestin artificiel qui a pu fonctionner, une fois implanté sur une souris.

Chez l’humain, une telle perspective relève encore de la science-fiction bien que Jacob Hanna estime que ses recherches ouvrent directement la voie à une telle avancée. Il a d’ailleurs fondé une startup, Renewal, pour creuser ce sillon.

D’autres chercheurs estiment qu’il est encore bien tôt pour envisager des avancées thérapeutiques, même s’ils admettent volontiers que ces recherches posent une pierre importante à cet édifice.

Mais, à ce titre, ils préviennent aussi que l’étape suivante et logique consistera à obtenir des résultats semblables à partir de cellules humaines, ouvrant la voie à de lourds questionnements éthiques sur le statut à donner à ces «embryoïdes».

«Même si nous sommes encore loin de la perspective d’embryons humains de synthèse, il va devenir essentiel d’engager de vastes débats sur les implications légales et éthiques de telles recherches», résume le chercheur britannique James Briscoe, spécialiste du développement de l’embryon, auprès de l’organisme Science Media Center.