Un jeu inspiré de «Koh-Lanta» organisé dans une prison: pourquoi les images font polémique? (vidéo)

L’organisation au sein de la prison de Fresnes d’épreuves inspirées du jeu télévisé «Koh Lanta» au profit d’associations, dont une vidéo a été partagée ce vendredi, a créé une vive polémique depuis ce week-end en France. Explications.

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Rédaction en ligne avec AFP
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Ce vendredi, une vidéo de l’événement «Kohlantess», qui avait eu lieu le 27 juillet au sein de l’établissement du Val-de-Marne, a été publiée sur YouTube. Trois équipes – détenus, surveillants et habitants de Fresnes – s’affrontaient lors d’épreuves variées: questionnaire, karting, mime ou tir à la corde au-dessus d’une piscine.

Dans la vidéo, Djibril Dramé, organisateur de ce «Koh Lanta des cités», dont une première édition opposant jeunes et policiers avait eu lieu début juillet dans la ville de Fresnes, précisait que les détenus ayant participé au jeu étaient en détention «pour de courtes peines».

«D’accord, toutes les personnes (détenues) qui sont là le sont pour une bonne raison et la voie de la réinsertion passe par le travail en prison, mais nous avons aussi un devoir de ne pas les mettre de côté et de ne surtout pas oublier qu’ils sont des humains comme vous et comme moi», ajoutait-il.

Le directeur de la prison, Jimmy Delliste, s’était félicité pour ce «moment d’engagement fraternel au bénéfice de trois associations», en remerciant les organisateurs.

Les politiques réagissent

Peu de temps après la publication de la vidéo, des extraits sans contexte ont été partagés sur les réseaux sociaux. Et ce samedi, plusieurs élus d’extrême droite ont vivement critiqué l’organisation de ces «activités estivales pour les détenus» à Fresnes.

«Pendant ce temps-là, un enfant sur trois ne part pas en vacances par manque de moyens financiers. Les contribuables seront heureux de voir où part leur argent», a tweeté Hélène Laporte, vice-présidente RN de l’Assemblée nationale.

Le député LR Eric Ciotti s’est aussi insurgé: «Nos prisons ne sont pas des colonies de vacances dans lesquelles détenus et gardiens tissent des liens d’amitié».

Plusieurs organisations de policiers ont également réagi négativement, tel le syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT) jugeant les images «choquantes» et ironisant sur Twitter: «La prison doit favoriser la réinsertion mais doit-elle se transformer en centre de loisirs?».

Cédric Boyer, responsable FO Justice à la prison de Fresnes, a souligné auprès de l’AFP que «la réinsertion passe par la formation professionnelle, le travail, l’école et surtout l’indemnisation des victimes» et que «la prison est un lieu de privation des libertés».

Une enquête ouverte

Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a annoncé samedi sur Twitter avoir «ordonné une enquête» administrative. «Après les images choquantes de la prison de Fresnes, j’ai immédiatement ordonné une enquête pour que toute la lumière soit faite. La lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting!», a tweeté le Garde des Sceaux.

Sollicitée par l’AFP, le ministère a souligné que le Garde des Sceaux s’était «toujours montré favorable à ce que des détenus se voient proposer des activités sportives et culturelles, mais dans le projet tel qu’il avait été présenté n’apparaissaient pas les activités telles qu’elles se sont révélées dans cette vidéo, notamment celle de karting».

Un emballement médiatique inutile?

De nombreuses activités, allant des matchs de foot aux sorties en VTT, sont organisées régulièrement en prison sans que ce type de polémique enfle, rappelle Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

«Un événement pareil ne peut pas se faire sans des accords au plus haut niveau», a-t-elle expliqué. «Sans doute le ministre n’était-il pas au courant de la course kart. Mais ces deux minutes de course valent-elles vraiment cet emballement médiatique? Cette enquête administrative à mon avis va être vite bouclée car il y a un contrat où tout est écrit».

Selon les informations de BMFTV, un contrat avait bien été établi entre la production et l’administration pénitentiaire de Fresnes. La feuille de route signée le 25 juillet stipule l’organisation de quatre épreuves: «Questions pour un Mario; le parcours Kart du combattant; Plonge avec les stars; tir à la corde au-dessus du bassin d’eau».

Le producteur Enzo Angelosanto s’est expliqué ce lundi. «On n’allait pas mettre en péril la production, donc on a convenu d’une convention avec l’administration pénitentiaire de Fresnes. Il est indispensable en tant que producteur d’avoir quelque chose de contractuel», a-t-il confié. «Tout a évidemment été validé, on n’aurait jamais mis le ministère de la Justice en porte-à-faux. On a un service de chez nous, une fois le montage finalisé, on a envoyé plusieurs versions.»

Le ministère de la Justice a confirmé que l’activité avait bien été validée, car elle était organisée au profit d’associations, rapporte BFMTV. Le ministère confirme également qu’une convention a bien été signée, mais réfute avoir eu connaissance du contrat. Il indique n’avoir été sollicité que lorsque Konbini et Le Parisien ont été invités à couvrir l’événement.

Par ailleurs, les images diffusées ne correspondraient pas à la version validée, indique le ministère. Toujours selon le média français, c’est la quatrième version originale qui aurait été validée par l’administration.

Une initiative saluée par certains

Les syndicats d’agents pénitentiaires ont pris la défense des organisateurs, en saluant l’initiative. «Les détenus de la vidéo ont été choisis parmi des hommes inscrits à l’école de l’établissement, tous condamnés à de courtes peines», indique Jean-Christophe Petit, surveillant et représentant syndical Ufap à Fresnes, au JDD. «On les enferme vingt-trois heures sur vingt-quatre et on arrête tout? Ils ressortiront comment?», s’interroge-t-il.

Du côté de la classe politique, la sénatrice écologiste Esther Benbassa a accusé le ministre de la Justice de «céder à la droite et à l’extrême droite».

«Vous vous auto-proclamiez avocat des droits humains et des droits de la défense. Vous serez le ministre de l’inhumanité. Après deux canicules et des conditions indignes de surpopulation, le scandale n’est pas là», a tweeté Sandrine Rousseau, députée Nupes.