Félicien Bogaerts, parrain d’« Alimenterre » : « Je préfère l’idée d’une murmuration au cliché du colibri »

Quel avenir pour nos assiettes et pour notre planète? C’est la question essentielle que posent les festivals «Alimenterre» et «Nourrir Bruxelles», qui se tiennent tous deux en ce mois de septembre. Metro a rencontré le parrain de ces événements: Félicien Bogaerts, journaliste, vidéaste et fondateur du média « Le Biais Vert ».

par
Oriane Renette
Temps de lecture 4 min.

Vous parrainez deux festivals consacrés à l’alimentation. Cette thématique vous tient à cœur?

«Je n’ai pas hésité une seconde car ce sont des sujets vraiment importants. Ils devraient d’ailleurs être au cœur de tous les débats politiques. Tout comme la question de l’aménagement du territoire: c’est un sujet qui impacte profondément nos vies et dont on ne parle jamais. Je trouve ça hallucinant. Aujourd’hui, on a l’impression que la nourriture pousse dans les supermarchés. Or, surtout en période de crise, une question aussi essentielle que notre alimentation, que notre souveraineté alimentaire, peut être remise en cause en très peu de temps. Et cela, il faut s’en inquiéter très fort.»

Pourquoi la transition alimentaire est-elle essentielle aujourd’hui?

«L’enjeu de l’alimentation est central: c’est quand même une question qui revient trois fois par jour! Nos sociétés modernes sont extrêmement peu résilientes du point de vue de l’alimentation. Une ville comme Paris est entourée de 600.000 hectares de terrains agricoles extrêmement fertiles. Mais aujourd’hui, ils sont exploités pour l’exportation. Si les flux d’acheminement de nourriture venaient à être interrompus, Paris serait affamée en trois jours! C’est la folie du monde dans lequel on vit actuellement. Et c’est la même chose à Bruxelles. Nous avons des territoires dédiés à l’exploitation agricole, mais pourtant on ne produit pas de manière à être souverains sur la question de l’alimentaire. La priorité n’est pas celle de la résilience.»

Quelles seraient les clefs pour rendre nos villes plus résilientes?

«Le modèle dominant est celui de l’agro-industriel, avec de grandes monocultures. Il est calqué sur l’idée de marché mondial, avec une organisation technicienne de l’alimentation. L’idéal serait de revenir à une organisation paysanne de l’alimentation, c’est-à-dire des polycultures. Parfois, l’avenir c’est assembler des nouveautés et des choses plus anciennes. Sur la question agricole notamment, on a beaucoup à apprendre des modèles paysans du siècle passé. Et cela, ça implique aussi de libérer certaines surfaces du béton pour remettre de la ruralité, y compris dans les villes. Par exemple à Charleroi, sur l’ancien site de Caterpillar, ils veulent construire un parc Legoland. Je propose plutôt qu’on y installe une grande coopérative agricole!»

Comment, en tant que citoyen, agir pour un système alimentaire plus durable?

«La première étape, c’est de bien s’informer: lire de la presse de qualité ou aller dans des festivals comme ‘Alimenterre’ ou ‘Nourrir Bruxelles’. Ensuite, je crois beaucoup plus aux actions collectives qu’individuelles, car c’est ce modèle individualiste qui détruit la planète. C’est pour cela que je parle de groupes d’achat, de coopératives… Pour un impact structurel, il faut s’y mettre à plusieurs. Quand on parle d’écologie, revient souvent le cliché du colibri: ‘chacun fait sa part’. Moi je crois plutôt à l’idée d’une murmuration de colibris: s’organiser ensemble pour des actions collectives. C’est aussi comme cela que l’on va retisser des liens de solidarité et des réseaux d’entraide, qui seront essentiels dans des moments de crise. Moments où la souveraineté alimentaire est remise en question, par exemple.»

Pourquoi la complémentarité entre les festivals «Alimenterre» et «Nourrir Bruxelles», entre les échelles globale et locale, est-elle importante?

«Il faut se faire une idée des forces qui régissent notre monde, analyser ce modèle économique qui détruit la planète. Mais si l’on veut agir, il faut d’abord s’intéresser à ce qu’il se passe près de chez soi. Les mouvements de destruction du vivant que l’on observe en Amazonie à des échelles extraordinaires, ces mouvements-là existent à plus petite échelle chez nous. Le climat n’est pas abstrait, cela repose sur des politiques concrètes. C’est concret lorsqu’un bourgmestre choisit de remplacer une prairie fleurie par un zoning de béton. Si l’on est Bruxellois, il faut s’intéresser au problème de la friche Josaphat, à celui du marais Wiels. Si l’on est Liégeois, à la Chartreuse. Si l’on est Arlonais, à la Sablière. C’est près de chez soi que l’on a de vrais leviers d’action, par exemple en faisant pression collectivement sur les pouvoirs locaux. On ne saura pas arrêter la déforestation de l’Amazonie d’ici. Par contre, on peut faire en sorte que les oasis qui nous restent ici soient préservées plutôt que bétonnées. Se repolitiser, c’est essentiel.»

«Diamant Palace», la websérie du «Biais Vert», sera diffusée les 13 et 17 septembre au Cinéma Galeries, dans le cadre du festival Alimenterre.