Le coût désastreux des likes sur notre planète
Liker, scroller, envoyer des mails. Autant d’actions anodines? Pas si sûr. Alors que 197 nations sont réunies à Glasgow pour tenter de limiter l’impact de l’activité humaine sur le climat, le journaliste Guillaume Pitron apporte dans son dernier ouvrage un éclairage sur la pollution environnementale liée à nos activités numériques. «L’Enfer numérique, voyage au bout du like» tire la sonnette d’alarme sur les conséquences dans la vraie vie de nos vies on-line. Entretien.
Aujourd’hui, nous produisons plus de données chaque jour que toutes celles produites depuis le début de l’informatique jusqu’à 2003. Et ce chiffre va être multiplié par 45 en 2050. Via des interfaces, nos téléphones par exemple, nous échangeons des choses impalpables – un profil Facebook, un scroll ou une vidéo de chat – et donc des données. À l’échelle d’un like, c’est peu. Mais la quantité astronomique échangée rend cet impact matériel. Ces données sont stockées dans l’un des 3 millions de centres de données (ou data centers) dans le monde. Outre leur quantité, leur taille est parfois supérieure à celle d’un terrain de foot. Il faut entretenir ces centres, les refroidir avec des clims, alimentées par de l’électricité, produite avec du pétrole, de l’uranium ou du charbon. Au total, le secteur dépense 10% de l’électricité mondiale et rejetterait près de 4% des émissions globales de CO2.
Nous avons pu penser que le virtuel allait nous permettre de nous libérer de la matière et vivre comme des anges. Il n’en est rien puisqu’il existe 34 milliards d’équipements électroniques et nous produisons l’équivalent de 5.000 Tours Eiffel de déchets électroniques chaque année dans le monde. Le coût de nos vies virtuelles est donc avant tout matériel puisque nos portables, tablettes, serveurs, data centers, câbles sous-marins et satellites sont fabriqués à base d’électronique et donc de métaux et d’électricité.
Ce poste de pollution humaine est inédit. Vu la rapidité de l’explosion du numérique, nous sommes face à un sujet majeur et probablement l’un des grands sujets environnementaux de la prochaine décennie. L’origine de nos incertitudes et du manque de chiffres consensuels réside dans l’incapacité de ressentir ce nouveau danger, à ressentir le problème avec nos sens, à voir la pollution numérique avec nos yeux, à la sentir avec notre nez, à la goûter avec notre bouche. Une voiture diesel qui crache un nuage noir pollue. C’est facile à comprendre. Or, la pollution numérique est décorrélée de la consommation que l’on en fait. La voiture électrique émet de la pollution loin de son usage, à l’endroit où l’on extrait les matériaux, qu’on les assemble et où l’on produit l’électricité. Il existe un effet dispersif. C’est plus difficile de comprendre que notre portable qui contient quelques grammes à peine de matériaux rares pollue à l’autre bout de la planète. C’est un phénomène nouveau et pervers. Nous réalisons à peine que les effets négatifs pourraient devenir supérieurs aux effets positifs du développement d’Internet.
Elle consomme les outils que la génération précédente lui a donnés, mais elle s’aligne derrière les prises de position de Gretha Thunberg. Elle subit, faute d’éducation, les travers de la technologie et devient actrice du problème. Un jeune de 18 à 25 ans en France a déjà consommé 6 portables. On ne peut plus présenter les jeunes comme des victimes. Un hashtag publié par des millions de personnes pour dénoncer la non-action climatique peut pourtant générer de la pollution. Utiliser cet outil ultra puissant réclame la sagesse de l’usage que l’on veut en faire. Cette génération est face à son premier dilemme.
Il existe deux degrés de réponse. En premier lieu, la responsabilité individuelle. Lorsque l’on sait que 50% de la pollution numérique vient des interfaces, il faut conserver son téléphone plus longtemps, acheter d’occasion, revendre ses anciens appareils en occasion également, lutter contre l’obsolescence programmée et ne changer d’appareil que si l’on en a vraiment besoin. En second lieu, la réponse doit être collective. Vider sa boîte mail tous les soirs ou taper directement le nom du site dans la barre d’adresse pour éviter de passer par Google sont des actions dérisoires et ridicules. Il faut décider collectivement s’il faut rendre l’accès payant ou non à certains contenus pour limiter la consommation, l’utilisation de la bande passante (plutôt pour un hôpital connecté ou pour TikTok), la possible limitation de l’accès aux réseaux sociaux aux jeunes, comme c’est le cas en Australie. Cette réflexion ne se fera pas sans faire sauter, en somme, le tabou de l’absolue liberté sur Internet.
«L’Enfer numérique, voyage au bout du like» de Guillaume Pitron, paru aux éditions les Liens Qui Libèrent, le 15 septembre 2021.