Les «zoos humains», vecteurs du racisme, au cœur d’une exposition à Tervuren

Les villages africains reconstitués en Europe au tournant du XXe siècle devaient divertir le public tout en justifiant la suprématie des empires coloniaux. Ils ont aussi été des puissants vecteurs de stéréotypes racistes, comme l’illustre une exposition en Belgique.

par
AFP
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Baptisée «Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales», l’exposition se tient jusqu’à début mars au Musée de l’Afrique (Africa Museum) à Tervuren.

Institution mondialement connue, le musée est historiquement lié à cette thématique puisqu’il est né à l’endroit précis où le souverain belge Léopold II avait recréé en 1897 trois «villages congolais» avec leurs cases aux toits de paille, dans une propriété de la famille royale.

Le futur Congo belge était alors la propriété personnelle du roi, et 267 femmes et hommes avaient été amenés de force pour être offerts en spectacle, assis devant leurs cases, à l’Exposition universelle de Bruxelles. Sept de ces Congolais en sont morts, de froid ou des suites d’une maladie.

Cet épisode dramatique figure en bonne place dans l’exposition «Zoo humain», qui retrace avec quelque 500 objets et documents (écrits, affiches, photos etc) une mode qu’ont fait subir aux peuples indigènes toutes les puissances coloniales, de l’Amérique à l’Europe en passant par le Japon.

Il s’agissait d’«exhiber l’autre comme primitif», de «fabriquer du ‘sauvage’» pour «renforcer la supériorité des Blancs», expliquent les organisateurs. Des mesures de la taille des crânes étaient censées appuyer la thèse des soi-disant «races inférieures».

Les commissaires de l’exposition estiment que cette «industrie de l’exhibition humaine» a attiré environ un milliard et demi de visiteurs entre le XVIe siècle et 1960.

«Des micro-agressions»

Elle puise ses racines dans les tournées de «monstres» et autres phénomènes de foire au physique hors normes (géants, femmes à barbe etc). Phineas Taylor Barnum, un directeur de cirque américain, a inscrit son nom dans l’histoire en en faisant sa spécialité au XIXe.

En Europe, les «zoos humains» connaissent leur apogée à partir des années 1880 avec les nouvelles conquêtes coloniales. Des décors exotiques donnent l’illusion de visiter de véritables villages africains.

Alors qu’en Allemagne et en France (au Jardin d’acclimatation à Paris) des initiatives similaires ont déjà connu un vif succès, le premier «village nègre» de Belgique est créé à Anvers en 1885, avec 12 Africains. Douze ans plus tard, à Tervuren, ils sont vingt fois plus nombreux, et la section coloniale de l’Expo universelle revendique plus d’un million de visiteurs.

Dans ces présentations, «le même message était répété des milliers de fois, et à la fin les gens pensaient vraiment que l’Africain était cannibale, inférieur, sale, paresseux», dit Maarten Couttenier, un des commissaires de l’exposition. «Et ces stéréotypes existent encore aujourd’hui, preuve que la propagande coloniale a bien fonctionné», poursuit cet anthropologue.

À la fin du parcours, cette question de la persistance des clichés sur les Noirs surgit sous la forme d’une quinzaine de phrases reproduites en gros caractères sur un mur blanc. «J’aime trop les blacks!», «Oh! you did better than I expected» (» Tu as mieux réussi que ce que je croyais»), «Ah, ça sent fort la nourriture de chez vous!», «L’appartement est déjà loué».

Pour Salomé Ysebaert, qui a imaginé cette installation pour le musée, ces remarques d’apparence banale et inoffensive sont en réalité des «micro-agressions» pour leur destinataire. Et démontrent qu’une forme de «racisme ordinaire» est encore ancrée dans les esprits, plus de 60 ans après le dernier zoo humain montré à Bruxelles, en 1958.