Pourquoi le genre est une donnée personnelle sensible sur la carte d’identité?

Pour Isabelle Rorive, professeure de droit à l’Université libre de Bruxelles (ULB), le retrait de la mention du sexe sur les cartes d’identité électroniques est une avancée et elle explique pourquoi.

par
Belga avec rédaction en ligne
Temps de lecture 4 min.

«On a toujours vécu le genre comme une donnée personnelle qui n’était pas sensible, alors qu’elle peut l’être dans une série de situations», expose mardi à Belga Isabelle Rorive, professeure de droit à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Le gouvernement fédéral a décidé de retirer la mention du sexe sur les cartes d’identité électroniques, ce qui constitue une «avancée» aux yeux de la cofondatrice de l’Equality Law Clinic.

C’était «contribuer à diviser la société en deux grands groupes»

Mentionner «H» ou «F» sur la carte d’identité «contribue à diviser la société en deux grands groupes», estime Mme Rorive, qui rappelle que jusqu’en 2003, le genre n’était pas mentionné sur ce document officiel. La carte d’identité est devenue obligatoire en Belgique en 1919 et ne mentionnait pas le sexe mais bien par contre la profession ou l’état civil (marié, divorcé, célibataire), souligne-t-elle.

Un premier pas pour éviter les discriminations

Retirer cette mention est donc un «premier pas», afin d’éviter de discriminer les personnes trans, intersexes, non binaires, fluides… «Il s’agit également d’une revendication de mouvements féministes car le genre n’est pas une donnée pertinente sur la carte d’identité» et accentue la division de la société entre hommes d’une part, et femmes d’autre part.

Cependant, dans la note politique déposée par la ministre de l’Intérieur à la Chambre, seul le retrait de la mention du genre sur les cartes d’identité électroniques est indiqué car alors «nous ne serions plus dans une situation binaire et ce serait positif pour certaines personnes. C’est tout ce qui est dit», explique Mme Rorive. Or, la Cour constitutionnelle en 2019, saisie par plusieurs organisations de défense des personnes non binaires, concluait que «l’enregistrement du sexe à l’état civil était discriminatoire car les personnes qui ne s’identifiaient ni comme homme, ni comme femme ne pouvaient s’enregistrer conformément à leur identité de genre», souligne la professeure de droit.

Une loi de 2017

Cette décision faisait suite à une loi de 2017 sur le changement de sexe administratif des personnes trans. Avant cette loi, pour changer de sexe administrativement, une opération chirurgicale était requise, de même qu’une stérilisation. Depuis, il est possible de changer de sexe grâce à une procédure administrative, «sans plus devoir produire des documents médicaux ou psychologiques» par exemple, éclaire Isabelle Rorive.

Cette loi de 2017 représentait une avancée mais restait discriminatoire pour les personnes non binaires, qui ont obtenu gain de cause auprès de la Cour constitutionnelle. Pour se conformer à cette décision, plusieurs options s’offrent au gouvernement: ajouter de nouvelles catégories de genre ou supprimer tout enregistrement du sexe.

Ajouter une case avec un X? «Une catastrophe»!

«Ajouter une case supplémentaire est une catastrophe en termes de droits fondamentaux car on stigmatise» à nouveau une partie de la population, affublée d’un «X», souligne la professeure de l’ULB. Cependant, «supprimer complètement l’enregistrement du sexe pose problème car pour impulser des politiques de genre – lutter contre les violences faites aux femmes, par exemple–, on a besoin de statistiques de genre. La Belgique est d’ailleurs obligée d’en produire», relève Mme Rorive. S’il est possible d’obtenir ces statistiques autrement, cela reste toutefois plus difficile.

Face à ce dilemme et sans avancée depuis quelques années, le retrait de la mention du sexe, en écho à des initiatives déjà prises en Allemagne ou aux Pays-Bas, représente un «premier pas» de la Belgique. «C’est une avancée à la fois pour les minorités de genre mais aussi pour certaines femmes», estime Isabelle Rorive.

Le chemin n’est toutefois pas terminé, la question de l’enregistrement à l’état civil restant à trancher. «On sait par exemple que pour les enfants intersexes détectés à la naissance, cet enregistrement est une catastrophe, menant à des opérations de normalisation dont on connaît les conséquences psychologiques et physiques désastreuses», pointe Mme Rorive.