Pourquoi voit-on si peu de femmes dans les métiers du numérique?

Informaticienne, développeuse web, créatrice de logiciels… Ces métiers s’écrivent peu au féminin et pour cause: seules 25% des personnes travaillant dans le secteur de la tech sont femmes et elles ne représentent que 18% des experts numériques, constatait en 2020 Agoria, fédération de l’industrie technologique.

par
Belga
Temps de lecture 5 min.

Pourquoi si peu de femmes dans un secteur pourtant en pleine croissance? C’est ce que propose d’explorer une conférence organisée le 6 octobre prochain à Liège par Sirius Hub, projet d’action sociale de l’ASBL Le Monde des possibles. Y interviendront Julie Foulon, cofondatrice de Molengeek et fondatrice de Girleek, et Sarah Unger, cofondatrice de BeCode.

Les femmes sont absentes à tous les niveaux: développeuse, cheffe de projet, experte, dans la direction… mais aussi parmi les investisseurs. «Si les chefs de projets sont tous des hommes, ils vont avoir une propension à engager des hommes. Les investisseurs vont avoir tendance à investir dans des entreprises d’hommes…», avertit Sarah Unger, de l’ASBL BeCode qui propose des formations dans le numérique aux personnes en recherche d’un emploi.

«Éducation genrée»

Pour Julie Vanderbyse, formatrice en développement web chez Sirius, «l’éducation genrée» est la première explication à cette sous-représentation des femmes dans le numérique. Aux petits garçons, on réserve les ordinateurs et les jeux vidéos, aux petites filles l’on préfère donner des poupées. «Cela reste fortement ancré dans les valeurs parentales, même dans les foyers progressistes. Les filles sont dirigées vers des rôles plus maternels, d’attention aux autres», éclaire Mme Vanderbyse.

À l’école non plus, les filles ne sont pas forcément incitées à opter pour des matières scientifiques ou mathématiques. Résultat: une fois venu le temps de choisir une formation, les femmes ne pensent pas aux carrières technologiques.

Sexisme ordinaire

Un autre frein se présente lors des études en informatique, témoigne Julie Vanderbyse. Lorsqu’une femme fait ce choix, peu anodin, «elle se retrouve dans une classe avec 80% d’hommes» et est confrontée à du sexisme ordinaire. «Ce n’est pas forcément conscient mais on va leur faire sentir qu’elles ne sont pas à leur place, qu’elles ne sont pas légitimes», raconte-t-elle. Les femmes se retrouvent obligées de «briller pour se faire une place». Lorsqu’elles obtiennent un poste, elles sont renvoyées à leur sexe: elles n’ont obtenu leur travail que parce qu’elles seraient le résultat d’une tentative d’inclusivité des entreprises. «On en vient à se demander si on est compétente ou juste une statistique. Beaucoup de femmes quittent le secteur à cause de ça.»

Les préjugés ont la vie dure et des stratégies spécifiques doivent dès lors être mises en place pour attirer davantage de femmes dans ce secteur porteur de croissance, abonde Julie Foulon, fondatrice de Girleek, qui aide les femmes entrepreneuses à acquérir des compétences numériques. «Les cours de tech doivent être obligatoires dans les écoles et les universités pour que les femmes acquièrent des compétences générales», plaide-t-elle.

Formation continue

Un autre levier d’action est la formation continue, pour aider aux reconversions professionnelles. «On met trop souvent les femmes sur la touche. De nombreux emplois vont être supprimés car leurs compétences techniques ne seront plus demandées mais d’autres vont être créés grâce aux nouvelles technologies», avance Julie Foulon, donnant l’exemple de la fonction de «youtubeur d’entreprise», apparue récemment. «Mais celles qui vont perdre leur emploi ne seront pas forcément celles qui vont se diriger vers ces nouveaux métiers», déplore-t-elle. D’où l’importance de proposer des formations en technologie aux femmes, même plus âgées, même en charge d’une famille, pour éviter qu’elles ne soient «mises sur des voies de garage».

Dans le secteur des nouvelles technologies, «on parle beaucoup des jeunes et c’est bien. Mais on ne peut pas laisser sur la touche tous les autres alors qu’une formation courte suffit pour se remettre sur les rails», estime Julie Foulon.

Déployer des stratégies spécifiques est efficace, confirme Sarah Unger, cofondatrice de BeCode. «Notre formation de base dure sept mois, plus trois mois de stage, ce qui demande un investissement en temps conséquent. Et on a constaté que les femmes ne s’y engageaient pas», explique-t-elle. «On a donc mis en place un sas d’entrée: un parcours d’orientation de six semaines, réservé aux femmes.» Durant ce mois et demi, elles effleurent tout ce que le secteur a à offrir et ont ensuite la possibilité de suivre une formation plus poussée. «La moitié choisit la programmation.» Une fois les a priori évacués, les derniers doutes s’envolent.

«Les métiers de demain»

Avoir peu de femmes dans le secteur du numérique les empêche de participer à un secteur économique en pleine croissance mais aussi à la création de la société de demain, souligne Sarah Unger. «C’est regrettable de ne pas avoir de représentation équitable car c’est toujours intéressant d’avoir un regard différent. Le développement informatique se base surtout sur l’intelligence collective. C’est donc dommage de passer à côté de l’opportunité d’avoir un autre regard», poursuit Julie Vanderbyse.

«Il faut sensibiliser, montrer que les métiers du numérique sont accessibles à tout le monde. On a l’image du geek à lunettes, asocial, boutonneux, reclus… Ce qui peut être un frein aussi. Alors que c’est un environnement très stimulant, en pleine expansion. Ce sont les métiers de demain», souligne Mme Vanderbyse.

S’engager plus

Il faut aussi pouvoir s’adapter aux réalités des femmes, auxquelles reviennent encore l’essentiel des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. Avec les confinements imposés durant la crise sanitaire, Girleek a par exemple développé son offre de formations en ligne, qui a rencontré un grand succès. «Cela répond aux besoins des femmes, qui n’ont pas besoin de se déplacer, peuvent la revisionner par après…», explique Julie Foulon.

«Les entreprises ont de très bonnes intentions mais elles devraient s’engager plus, en faveur par exemple d’un pourcentage de femmes dans les équipes», propose Sarah Unger. «Les femmes sont là et on arrive à les attirer. La principale barrière est qu’on continue de reproduire ce qui a été, avec des horaires d’hommes, des chefs hommes… Si les entreprises s’engageaient un peu plus, elles se rendraient compte qu’il est possible d’adapter un peu leur mode de travail pour faire de la place à ce que les femmes peuvent apporter», conclut Sarah Unger.