Zakia Khattabi tire les leçons de Glasgow: «Nous sommes condamnés à être déçus de COP en COP» [Interview]
Plus d’un an après son entrée en fonction en tant que Ministre du Climat et de l’Environnement, Zakia Khattabi voit dans la gouvernance climatique l’une des avancées les plus essentielles de la Vivaldi. «C’est la fondation d’une politique climatique crédible. Tous les leviers fédéraux sont maintenant mobilisés dans l’objectif de décarbonation. On sort enfin d’une approche en silos, d’une politique climatique au doigt mouillé», insiste l’écologiste. «L’urgence aujourd’hui est d’adopter une approche intégrée du pilotage de nos politiques publiques, à la fois sur le plan national et international.»
C’est ce qui a manqué à la COP26?
«J’ai la conviction qu’on est condamnés à être déçus de COP en COP si on ne discute pas collectivement, en amont, d’un changement de paradigme économique pour aller vers un modèle résilient. Et si l’on ne répond pas collectivement à la question de comment concilier la nécessaire réduction des émissions au développement des pays émergents.
L’enjeu du climat se pose en conséquence de choix définis en amont et qu’on ne remet pas encore en question. Ils ne sont pas débattus dans d’autres cénacles, au niveau du FMI, de l’OMC, etc. Nous devons être radicaux: aller à la racine de ce changement climatique et ne plus agir avec des rustines pour le contrer. Les leviers activés à l’échelle fédérale sont les mêmes que ceux qui doivent être activés au niveau international si on veut atteindre nos résultats et faire en sorte que la transition soit juste.»
«On a un rôle à jouer au sein de l’UE. C’est la voix que je porte. C’est difficile, ça l’est déjà en Belgique. L’organisation des compétences en Belgique fait que la majorité des compétences qui ont impact sur le climat sont dans les mains de mes collègues: la fiscalité, l’économie, l’énergie, la mobilité… L’enjeu d’une politique intégrée n’est pas perçu à sa juste valeur dans le débat public: l’enjeu climatique est transversal, on ne peut plus continuer à travailler en silos. On ne peut pas continuer à produire comme on le fait, en polluant et gaspillant mais tout en se donnant des objectifs ambitieux. Ça n’a pas de sens. On fonce droit dans le mur. Il faut un changement profond des mentalités.»
«Comme ministre du Climat, j’ai des objectifs de moyens pour atteindre l’objectif collectif que le fédéral s’est donné [réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, ndlr.] J’ai mis sur la table un pilotage inédit de la politique climatique. C’est une garantie de résultats, puisque chacun, dans sa sphère de compétences, est responsable de cet objectif. Chacun de mes collègues a une feuille de route avec des mesures et objectifs à atteindre.»
«C’est pour ça que je parlais d’une politique au doigt mouillé: on s’était donné des objectifs sans se donner les moyens de les atteindre. Ici, le pilotage de la politique climatique est lié à des objectifs très précis. Il s’accompagne de feuilles de routes et de mesures déjà sur la table. Il dispose aussi d’un calendrier et d’évaluations en interne tous les six mois. Il y aura aussi une démocratisation du débat: un état d’avancement sera sur la table du parlement chaque année.»
L’accord de majorité est clair: il dit que le gouvernement fédéral prendra, dans sa sphère de compétences, des mesures qui permettront de réduire de 55% les émissions à l’horizon 2030. Aujourd’hui, sur base de ce qu’il y a sur la table, la trajectoire, pour autant qu’on la tienne, a pour objectif d’atteindre ces -55% à l’échelle des leviers fédéraux. Techniquement, c’est possible.
«Absolument. Aujourd’hui, tout est sur la table: les constats et analyses scientifiques, les solutions sont là. Il faut de la volonté politique pour mettre en œuvre les engagements que l’on a pris. Et ça passe par la gouvernance politique intégrée.»
«Cette relance est une opportunité pour autant que les moyens soient orientés vers les bons choix: ceux de la transition, pas ceux du passé. Par exemple, dans le cadre du plan de relance fédéral: avec mon collègue Dermagne [ministre de l’Économie, PS], j’ai mis sur la table un projet autour de l’économie circulaire. C’est à nous, politiques, de poser des choix qui vont dans ce sens-là. Sur la question climatique, on se cache parfois derrière des arguments techniques ou scientifiques alors qu’il s’agit de choix éminemment politiques.»
«Oui, celui de la fiscalité. Je travaille avec mon collègue Vincent Van Peteghem [CD&V] sur la durabilité de notre fiscalité, à savoir la décarbonation des subsides fédéraux, la sortie des subsides aux fossiles. C’est un choix assumé.»
«Oui absolument. On sait aujourd’hui que c’est pour un mieux et pour éviter des situations dramatiques. On a tous encore en tête les images de la Wallonie en juillet dernier. Aujourd’hui, l’inaction climatique est un non-sens. Un non-sens écologique mais économique aussi. En juillet, le GIEC nous a de nouveau alertés sur l’urgence de la situation. Mais le GIEC dit aussi qu’il y a encore une fenêtre d’opportunité. C’est encore possible, disent-ils, mais il faut arrêter d’avoir pour seul horizon le PIB. Il faut analyser la prospérité d’un état à l’aune d’autres indicateurs, comme celui de la santé. On ne peut pas utiliser les indicateurs d’un monde industrialisé pour un monde décarbonisé. C’est pourquoi j’ai demandé au bureau du plan et à la BNB d’intégrer les externalités et l’enjeu du climat dans leurs analyses. Ce sont des changements structurels profonds. C’est n’est pas sexy mais c’est ce qui permet de gagner en efficacité.»
«On sait aujourd’hui que l’inaction, ce sont d’abord les publics déjà précarisés qui la payent et qui en sont les premières victimes. C’est en leur nom que la transition est nécessaire. À côté ça, il faut une attention particulière. Le fédéral a acté comme principe que tous les fruits d’une fiscalité environnementale doivent être utilisés pour accompagner les familles et les entreprises dans le cadre de la transition. C’est aussi accompagner les travailleurs dans leur reconversion. Améliorer l’efficacité énergétique de nos bâtiments… Tout l’enjeu est d’avoir une approche globale qui mobilise l’ensemble des politiques, et en ce compris en termes budgétaires.»
«C’est certain que je regrette l’absence d’accord. C’est une déception mais il ne pouvait en être autrement: nous étions déjà à la COP quand le gouvernement flamand venait de décider de sa feuille de route. On pouvait difficilement commencer à négocier puisqu’il fallait d’abord analyser ce qu’il y avait sur la table. Ce n’était donc pas le constat d’un échec sur l’accord, mais le constat d’un échec d’accord pendant la COP. Je veux un accord qui soit juste et équitable pour tout le monde. Depuis la COP, on poursuit les travaux et les négociations. Ceci étant, l’image de la Belgique au niveau international n’a pas été écornée, dans la mesure où, en tant que membre de l’UE, elle a soutenu la rehausse de l’ambition européenne.»